Plus connu et étudié à l’étranger qu’en France, Auguste Sabatier est l’un des grands théologiens protestants français. Son travail sur les dogmes, le langage religieux, et contre les religions d’autorité, fait de lui l’une des figures marquantes de la théologie libérale
Auguste Sabatier, « le plus grand théologien protestant de France depuis Calvin », comme l’a salué Eugène Ménégoz lors de ses obsèques, est né en Ardèche dans une famille pieuse et marquée par le Réveil. Après des études à la Faculté de théologie protestante de Montauban, il est le candidat du parti orthodoxe à la chaire de dogme réformé de Strasbourg. Il l’occupe dès janvier 1869. La guerre franco-allemande l’incite à se replier sur Paris où il devient en 1877 l’un des fondateurs de la Faculté de théologie protestante. Il y enseigne derechef le dogme réformé.
Sa thèse de doctorat sur L’Apôtre Paul, éditée en 1870, retient d’emblée l’attention, sans éveiller encore les soupçons du camp orthodoxe, mais sans satisfaire non plus les libéraux. Porté, selon son propre aveu, « à considérer tous les phénomènes dans leur succession naturelle », il ne cherche pas à mettre une fois de plus en système la pensée de l’apôtre, mais esquisse une « histoire de sa pensée » qu’il voit se constituer progressivement. Il relativise ainsi d’autant la portée des affirmations pauliniennes sur le jugement dernier et la fin des temps. Sur cette même lancée, Sabatier tente de décrire la personnalité de Paul – un portrait « psychologique » dans lequel il met en fait beaucoup de lui-même et des auteurs dont la lecture l’a plus particulièrement marqué : Blaise Pascal et Alexandre Vinet.
En 1880, son article Jésus-Christ dans l’Encyclopédie des sciences religieuses sème l’émoi chez les orthodoxes : il n’y fait allusion à aucune des doctrines qui, depuis les conciles oecuméniques des premiers siècles situent Jésus par rapport à Dieu ou postulent en lui l’existence de deux « natures ». Comme pour Paul, il tente de cerner la « personnalité » de Jésus, dans des pages qui, il faut le dire, nous laissent aujourd’hui plutôt perplexes, et s’efforce de montrer en lui « la personnalité la plus importante de l’histoire », tout en signalant combien, à son sens, il repère en lui un « je ne sais quoi » de divin. La nouveauté, de la part de ce professeur tenu jusque là pour orthodoxe, est bel et bien cette manière de parler du Christ sans faire aucun usage des formules chères à l’orthodoxie.
En 1888, il s’attaque à la notion même de dogme et montre dans une leçon publique combien les dogmes chrétiens n’ont cessé d’évoluer au cours des siècles. Il emprunte à la physiologie le terme d’« intussusception » p our expliquer que « nous conser vons, nous répétons les dogmes d’autrefois, mais nous y versons inconsciemment un contenu nouveau. Les termes ne changent pas, les idées et leur interprétation se renouvellent de génération en génération ». Sous les apparences inchangées auxquelles tiennent les orthodoxies, les dogmes ne cessent donc de se modifier, et il faut accepter d’abandonner ceux qui ne se justifient plus au triple point de vue de la piété, de l’enquête historique et d’une réflexion droitement menée.
Sabatier noue la gerbe en 1897 avec son Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire. Cette fois-ci, c’est l’évolution de la religion dans son ensemble qui est prise en considération, mais interprétée selon les critères de ses convictions personnelles : « Je suis religieux parce que je suis homme […]. Je suis chrétien parce que je ne puis être religieux d’aucune autre façon […]. Enfin, je suis protestant […] parce que dans le protestantisme seul je puis recueillir l’héritage du Christ, c’est-à-dire être chrétien sans asservir ma conscience à aucun joug extérieur. » Nous ne pourrions évidemment plus dire aujourd’hui avec lui que les autres religions tendent vers le christianisme « comme vers un autre Mont-Blanc » !
Dans son dernier livre sur Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, il traque jusque dans leurs derniers « bastions » les retombées néfastes des « systèmes d’autorité » en matière de foi, le seul langage qui convient à cette dernière étant celui de la poésie et des symboles.*