La relation de la France avec l’Algérie est un perpétuel mélodrame qui connaît des sommets rares et brefs où tout semble évidemment possible, avec des périodes dépressives beaucoup plus longues et récurrentes où tout se mélange, l’affect et l’hostilité, la nostalgie et l’esprit de revanche, le rejet et l’attraction. L’histoire est alors l’alibi de toutes les postures.
Philippe San Marco a choisi de conduire une recherche iconoclaste qui va identifier dans une histoire revisitée, ce qui fonde, depuis des siècles, la relation de l’Algérie avec la France et de la France avec l’Algérie.
Le premier mérite du livre de Philippe San Marco, ancien député, ancien secrétaire général de la mairie de Marseille qui fut un des pionniers, avec Gaston Defferre, des relations entre Alger et Marseille, est de casser le cadre temporel qui fait consensus au sud au nord qui enferme l’histoire algérienne signifiante, dans une période qui va de 1830 à 1962. Comme si tout avait commencé avec le général Bugeaud et tout s’était terminé avec les accords d’Évian. Philippe San Marco réintroduit le temps long de la Régence algérienne, de l’empire ottoman, et de sa relation conflictuelle avec le royaume de France bien avant que des politiques rarement assumées n’en fassent une colonie de peuplement.
Pas de trame historique linéaire dans cet ouvrage, mais 13 questions qui fâchent. La première ouvre le bal : « La présence française en Algérie était-elle par nature illégitime ? » On continue avec « l’Algérie existe-t-elle avant l’occupation française ? », « Sait-on pourquoi on débarque en 1830 ? » etc.
Les relations ambivalentes, guerrières, entre la Régence d’Alger et le royaume de France, puis les régimes issus de la Révolution de 89, sont restituées avec méticulosité par Philippe San Marco qui convoque les grands auteurs pour les mettre face au vécu historique. Mais il va aussi inventorier des ouvrages oubliés qui font vivre l’esprit du temps et dévoilent des faits, des discours, des décisions oblitérées. Les chapitres consacrés à l’avant période coloniale éclairent d’un jour nouveau, l’histoire de la nation algérienne. Tandis que cet ouvrage se fait l’écho des politiques françaises, car il faut un pluriel, qui ont amené à l’intervention de 1830. La question algérienne devient alors un objet politique à part, qui échappe à une République qui se réfugie dans le non-dit et laisse la main à des généraux sans vision.
Philippe San Marco écrit « Ainsi l’Algérie était un simple outil dans l’inconscient français, un besoin pour soi et jamais en soi. Ce qui expliquait que peu importe ce qu’on était venu y faire, et encore moins ce qu’on y faisait, ou ferait, on gardait l’Algérie pour autre chose qu’elle-même, pour la grandeur de la France, pour tenir notre rang dans le temps mélancolique qui suivait l’Empire napoléonien, où nous étions contraints de nous accommoder de la perte de notre rayonnement en Europe ».
Ainsi va cet ouvrage nécessaire qui pose des questions qui divisent encore aujourd’hui les opinions sur la place des crimes commis en Algérie, sur les “bienfaits” de la colonisation française et surtout sur le rapport de l’opinion publique française à l’Algérie. Philippe San Marco ne renonce pas à son plaisir de provoquer, voire de choquer. Ces 13 questions et leurs réponses ont de quoi fâcher à droite comme à gauche, au nord et au sud de la Méditerranée. Elles décapent et constituent le préalable indispensable à une relation autre entre l’Algérie et la France. « Tant qu’on n’aura pas crevé l’abcès, le refoulé colonial continuera de parasiter le présent », conclut Philippe San Marco.