Mes lectures m’ont fait rencontrer à plusieurs reprises, ces derniers temps, l’expression « manières de croire », au pluriel. Elle est somme toute très banale, mais je la tiens à la fois pour savoureuse et pour riche de possibilités dans les débats et controverses de notre temps qui tournent autour de l’idée de religion.
Car enfin, l’islam, le christianisme, le bouddhisme, etc., ce sont tout autant de manières de croire. Chaque fois, une forme ou une qualité de foi est en jeu. Je peux ne pas partager celle de mon voisin de palier qui est peut-être musulman, ou juif, ou shintoïste. Mais je ne puis lui dénier le fait de croire, lui aussi, à sa manière qui n’est pas la mienne.
Ah mais, dira-t-on, ce n’est pas la vraie ou la bonne foi. Comme s’il y avait des manières justes ou fausses de croire ! Qui suis-je pour en décider, surtout si pour moi l’idée même de foi, et plus encore le fait de croire, avec tout ce qu’il peut impliquer de doutes, d’avancées et de retours en arrière, entraîne une certaine manière d’en référer à Dieu ? Et quand j’essaie de mettre cela en forme, je me découvre tributaire de certaines façons de penser qui tiennent à mon milieu de vie, à mon éducation, au réseau de références implicites au sein duquel j’essaie justement de faire de ma foi davantage qu’un simple cri du cœur : je dois pouvoir m’en rendre raison à moi-même avant d’en toucher quelques mots à autrui.
La présence de plus en plus visible de l’islam parmi nous oblige à constater avec quelle fidélité de nombreux musulmans fréquentent leur mosquée à l’heure de la prière, cela au moment même où la fréquentation des cultes et des messes est visiblement en perte de vitesse sous nos latitudes et longitudes. D’aucuns parleront de formalisme, de légalisme, de résignation. Mais que savons-nous de ce qui se passe dans le cœur, l’esprit, l’âme de ces fidèles d’une autre religion qui ont d’autres manières de croire et d’être fidèles que les nôtres ? Leur exemple devrait bien plutôt nous inciter à nous interroger à frais nouveaux sur nos propres manières de croire et d’en rendre compte.
Il était de bon ton, voilà un siècle ou deux, de parler avec condescendance des peuples non civilisés et de leurs « superstitions ». C’était oublier que nos ancêtres directs ont partagé ces manières de croire pendant des dizaines de millénaires. Il fut un temps où l’on doutait que ces ancêtres les plus lointains aient jamais eu une « religion ». Il est vrai qu’il faut toujours s’entendre sur le sens des termes. Mais je ne peux me défaire de l’idée que, même avant l’apparition de l’homo sapiens, ils avaient déjà leurs manières de croire, leurs façons de penser, probablement différentes d’une tribu ou d’une région à l’autre.
Mais c’est assez parlé d’autrui. Le protestantisme se distingue lui aussi par ses diverses manières de croire, par ses différentes façons de penser. C’est sa richesse tout en étant une incitation constante à mieux croire et mieux penser. Quel défi !