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Que tous soient un ?

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Bernard Reymond

Bernard Reymond nous propose une méditation sur ce célèbre verset de l’évangile de Jean. Jésus l’a-t-il réellement prononcé avec le sens que certains lui donnent aujourd’hui ?

Curieux, le sort réservé à certaines paroles de Jésus plutôt qu’à d’autres. À entendre certains propos d’origine ecclésiastique, la longue prière que, selon l’évangéliste Jean, Jésus a adressée à Dieu juste avant son arrestation à Gethsémané, impliquerait que soit réalisée l’unité institutionnelle et doctrinale des Églises chrétiennes. « Que tous soient un » – ce verset aurait-il donc valeur de consigne divine ? Encore faudrait-il être certain que Jésus l’a non seulement dite sous cette forme, mais aussi l’a pensée dans le sens qu’on lui prête.

Le lecteur le moins averti remarque presque d’emblée que l’évangile de Jean n’est pas à proprement parler un compte-rendu des dits et faits de Jésus. Il est bien plutôt une reconstitution a posteriori de ce que Jésus doit avoir fait ou dit lors de son ministère terrestre. On imagine mal, en effet, un disciple sténographiant quasiment sous dictée la très longue « prière sacerdotale » que reproduit le chapitre 17 de l’évangile johannique. Des disciples l’ont-ils même entendue ? On peut au moins poser la question. Quoi qu’il en soit, telle qu’elle est parvenue, cette prière est visiblement le résultat d’une élaboration littéraire, fruit elle-même d’une longue méditation sur la personne, la destinée et le message de Jésus. La qualité et le bien-fondé spirituel du texte qui est résulté de cette élaboration sont tels que quelques-uns des exégètes les plus critiques du Nouveau Testament, par exemple F.D.E Schleiermacher ou R. Bultmann, n’ont jamais hésité à préférer l’évangile de Jean aux trois autres pour l’approfondissement de leur propre vie spirituelle.

Voilà qui relativise beaucoup la portée de Jean 17,21. D’abord, rien ne dit que Jésus lui-même ait adressé à Dieu sa prière dans les termes mêmes où les fervents d’œcuménisme voient l’équivalent d’un ordre divin. Ensuite, même à supposer que Jésus se soit effectivement adressé à Dieu dans ces termes-là, au nom de quoi en déduit-on que l’unité institutionnelle entre les Églises y serait en jeu ? Rien, dans les dires de Jésus transmis par les évangiles, ne permet de penser que Jésus ait jamais envisagé la disparité des Églises et confessions chrétiennes telle que nous la connaissons aujourd’hui. Et même si les chrétiens ont été conscients, dès la fin du Ier siècle, de la diversité de leurs manières de confesser le Christ – par exemple celles de Matthieu, de Marc, de Luc, de Jean, de Paul, de Pierre, de Jacques ou d’autres encore – rien ne pouvait non plus leur permettre d’imaginer qu’existeraient un jour des ensembles confessionnels aussi disparates et difficilement compatibles que ceux du christianisme actuel.

Nos problèmes, en d’autres termes, sont d’un autre ordre que ceux du Ier siècle, et j’ai peine à imaginer que l’évangéliste Jean, en donnant à la prière de Jésus la tournure que nous lui connaissons, ait jamais cherché à imposer sa conception de la foi aux communautés chrétiennes différentes de la sienne. C’est pourtant ce que font les représentants d’Églises qui continuent à prier solennellement « que tous soient un », tout en donnant à entendre que l’institution ecclésiastique à laquelle ils appartiennent serait la seule pleinement voulue de Dieu.

Quant à bricoler des accords théologiques ou liturgiques de surface « afin que le monde croie », c’est prendre ce monde pour plus bête qu’il n’est. Quand des divergences sont de bonne foi, elles ne sauraient être scandaleuses. L’« unité » dont il est question dans Jean 17,21 suppose au contraire l’accueil et le respect d’autrui dans sa différence même.

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Bernard Reymond
né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.
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