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Une nouvelle enquête, morale et littéraire, sur l’affaire Dreyfus

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Bernard Reymond

Curieuse idée que de rouvrir le dossier de l’affaire Dreyfus, vieille maintenant de plus d’un siècle. Mais quand elle est le fait d’Étienne Barilier, l’une des meilleures plumes de Suisse romande et l’une des plus exigeantes, il vaut la peine d’y regarder de plus près.

   Romancier, philosophe, essayiste, Barilier est aussi traducteur. On lui doit la traduction de Contre le libelle de Calvin, le réquisitoire sans appel, en latin, que Sébastien Castellion écrivit après le bûcher de Michel Servet à Genève (Carouge- Genève, éd. Zoé, 1998). L’introduction dont Barilier a fait précéder ce texte dénote, comme l’ensemble de son oeuvre, une exigence de vérité et une tournure d’esprit qui sont d’un moraliste, au sens le plus noble, le plus classique et le plus ouvert de ce terme. Ces qualités, on les retrouve tout entières dans son dernier essai : Ils liront dans mon âme – Les écrivains face à Dreyfus (Zoé 2008).

   L’enquête, on l’a compris, ne porte pas sur l’Affaire comme telle, mais sur ce que des écrivains, adversaires ou partisans, en ont dit, sur la manière dont ils l’ont rapportée ou évoquée, sur l’interprétation qu’ils en ont donnée. Sont en jeu les qualités d’écriture, les préjugés des uns et des autres, leur capacité de rendre compte des faits ou au contraire de les travestir, leur souci de vérité ou leur aptitude à lui faire violence au nom des contrevérités qui habitent leur âme et leur conscience. Barilier cite nombre de textes qui sont autant de morceaux d’anthologie, que ce soit sous l’angle de la noblesse et de la générosité, ou sous celui de la haine et de l’aveuglement sectaire.

   Les plus grands noms s’y retrouvent. Émile Zola, bien sûr, dont le célèbre « J’accuse » relève davantage de l’incantation que de l’argumentation, ce qui n’ôte rien à la majesté et à la pertinence de ce texte. Mais aussi, et c’est important, Marcel Proust, beaucoup plus attaché à défendre la vérité des faits que trop de ses lecteurs ne pourraient être portés à le croire. Octave Mirbeau qui débusque avec efficacité la mauvaise conscience des antidreyfusards en leur prêtant des propos plus vrais que ceux qu’ils ont effectivement tenus. Anatole France, certes sceptique, mais sans jamais abandonner ce qu’il sait être vrai. Roger Martin du Gard, peut-être le plus efficace de tous dans sa restitution des faits alors même que, de par son âge, il ne les a connus que par ouï-dire ou au gré de ses lectures. À l’opposé, Léon Daudet, Maurice Barrès ou même, mais à un moindre degré, Georges Bernanos, aveuglés par un antisémitisme qui fait froid dans le dos tant nous savons jusqu’où il a pu aller, sans oublier l’invraisemblable Alphonse Bertillon, enferré dans l’illogisme aveugle de sa fausse scientificité. Et puis, certes dreyfusards avoués, mais plus distants envers Dreyfus lui-même, Romain Rolland, un peu trop soucieux d’impartialité entre les « pro » et les « anti », et même Charles Péguy reprochant quasiment au malheureux capitaine de n’être pas mort en martyr de sa propre cause.

   Mais n’allons pas nous imaginer une simple liste de noms (ci-dessus, elle n’est pas complète) et moins encore une vulgaire juxtaposition de textes. Pas à pas, page après page, Barilier analyse, dégage des lignes de forces, met en évidence les enjeux avoués ou cachés de ce qui a été couché sur le papier, montre tout ce qui se joue quand rapporter un fait, fût-ce avec toute la sobriété voulue du romancier Martin du Gard, c’est inévitablement l’interpréter. Son essai fait à cet égard l’effet d’un miroir dans lequel se reflètent toutes les questions les plus graves de notre temps en matière d’information, de manipulation de l’opinion publique, de quête de la vérité. Son dernier chapitre est d’un vrai philosophe autant que d’un moraliste, mais aussi d’un homme qui a l’expérience de l’écriture romanesque, de ses pièges et de ses vertus. « Je persiste et signe, écrit-il dans cette conclusion : idéalement, et parfois réellement, la cause de l’écrivain et celle du savant, la cause de la fiction et celle de la réalité n’en font qu’une. Et le savant comme l’écrivain sont ceux pour qui justesse et justice sont inséparables. Ceux qui, en toute chose, à tous égards, quel que soit l’enjeu, quel que soit le danger, décident de dire ce qui est, d’appeler un chat un chat.

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Bernard Reymond
né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.
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