Les prédications pourraient-elles ou devraient-elles faire l’objet de concours dotés de prix ? La question semble saugrenue, mais elle se pose depuis que la Fédération des Églises protestantes de la Suisse a mis sur pied en 2014 un « Prix suisse de la prédication ».
Une première difficulté est d’ordre linguistique : en Suisse, il y a quatre langues nationales (allemand, français, italien, romanche). Écueil supplémentaire : dans la partie alémanique du pays, les pasteurs prêchent de plus en plus souvent en dialecte, une langue que les Suisses romands souvent ne comprennent pas. Il a donc fallu deux jurys : français-italien et allemand-romanche. Dans l’impossibilité de comparer ce qui n’est pas rigoureusement comparable, on a décerné deux prix.
Deuxième difficulté : sur quoi les deux jurys allaient-ils fonder leur jugement ? Sur des prédications effectivement entendues ? Mais dans quelles circonstances et en quels lieux ? Sur des prédications enregistrées en vidéo ? Mais selon quel protocole pour assurer la neutralité et l’égalité des prises de vue et de son ? Sur des textes écrits ? Mais prononcés dans des circonstances toutes identiques ? Les organisateurs du concours se sont simplifié la tâche : les jurys se sont prononcés sur des textes écrits, reproduits de manière identique, sans mention d’auteurs et de lieux. Mais sont-ce encore des prédications ou seulement des vestiges de prédications ?
Troisième difficulté : le concours allait-il porter sur toutes les prédications prononcées en Suisse à une date donnée, ou bien seulement sur celles que leurs auteurs auraient pris l’initiative de soumettre au concours ?
D’excellentes prédications n’ont donc pas été prises en considération, soit parce que leurs auteurs ont jugé qu’un sermon ne saurait faire l’objet d’un concours, soit parce qu’ils improvisent la forme dernière de leur discours et n’ont aucune envie de le coucher ensuite sur le papier.
À leur place, mais je ne suis plus en activité, j’aurais eu la même réaction. La prédication est à mon sens un acte du culte et même son acte le plus nécessaire et le plus significatif, ce qui ne l’empêche pas d’être étroitement solidaire des autres éléments de la liturgie qui font corps avec lui. J’ai toujours vu dans la prédication un acte plus lourd de sens et plus intimidant pour le prédicateur ou la prédicatrice que toute autre prise de parole en public (conférences, cours, débats, etc.). Mettre en compétition une de mes prestations dans ce domaine aurait été pour moi de l’ordre de l’inconcevable ; j’en aurais éprouvé un sentiment pénible d’incongruité. On ne s’adresse pas à l’auditoire ou au jury d’un concours dans le même état d’esprit et sur le même ton qu’à une assemblée de fidèles réunis pour le culte.
Et puis, qu’est-ce qu’un sermon imprimé sans indication de date, de lieu, de circonstances, d’auteur, de réactions de l’assistance, etc., sans mention non plus des prières, des cantiques, des pièces de musique qui l’ont encadré ? C’est demander à un jury de se prononcer sur ce qui n’est déjà plus une prédication, mais le vestige écrit, voire mort, d’une performance à l’ensemble de laquelle il eût fallu assister pour se prononcer en connaissance de cause. Je plains les jurys qui ont dû se plier à cet exercice et je me demande quelle idée se font du culte les professeurs de théologie pratique (à ma connaissance, aucun francophone parmi eux) qui ont paraît-il cautionné de leur assentiment un tel projet.
Sur les quelque 1600 pasteurs réformés que compte la Suisse, 245 ont finalement concouru. Quinze prédications ont été publiées : Prédications, un best of protestant (Genève, Labor et Fides, 2014). La plus intéressante, surprenante pour un lecteur français, est celle, couronnée d’un premier prix, qu’Isabelle Ott-Baechler a prononcée à l’installation des autorités cantonales à la Collégiale de Neuchâtel le 21 mai 2001. Sa dernière phrase : « N’érigez rien en absolu, sinon Dieu qui a voulu ce monde qu’il aime ! »