Dès 1933, Edmond Vermeil, brillant germaniste, aujourd’hui oublié, a perçu les dangers du nazisme et commencé à le combattre.
Parfois, ce sont nos amis qui nous font le plus de mal. Edmond Vermeil, protestant libéral, universitaire et intellectuel marquant du second tiers du vingtième siècle, en a fait l’amère expérience. Éminent germaniste, amoureux de la langue et fin connaisseur de la culture allemandes, il a été grièvement blessé en 1917 et pourchassé en 1941 par les occupants.
Son père était négociant en vin à Congénies (Gard). L’instituteur du village remarque l’intelligence de l’enfant et le pousse à poursuivre ses études. Les Vermeil, comme beaucoup à cette époque, fréquentaient à la fois le « temple » réformé et la « chapelle » méthodiste, d’où des dimanches où se succédaient deux cultes et deux écoles bibliques. Le pasteur réformé donne au petit Edmond le goût de l’allemand que renforcera un de ses professeurs, J. Rouge (traducteur en français des Discours de Schleiermacher). Edmond fait de brillantes études, licence, agrégation, puis en 1913 un doctorat (sa thèse porte sur l’école théologique catholique de Tübingen). Après une conduite courageuse au front (il est capitaine), une blessure le rend inapte au combat et il devient expert d’une commission gouvernementale qui prépare l’après-guerre. En 1919, il enseigne à l’Université de Strasbourg (il y collabore avec la revue de la Faculté de Théologie Protestante où il publie une étude sur le théologien protestant libéral Troeltsch, qui sera longtemps la seule dans notre langue). En 1933, il est nommé professeur en Sorbonne. Parmi ses élèves, il y a A. Grosser et R. Minder (l’ami d’A. Schweitzer).
Très tôt, l’un des premiers, il perçoit le péril du nazisme. Dans des articles (en particulier dans la Revue du christianisme social dont il est très proche) et dans des livres il informe et alerte. À partir de 1933, il s’occupe activement des réfugiés d’outre-Rhin. En 1940, il va à Montpellier, entre en clandestinité ; en 1943, il passe à Londres, rejoint la France Libre et travaille dans une commission interalliée pour les affaires allemandes. Après la guerre, tout en faisant partie des groupes d’experts qui réfléchissent à la question allemande, il reprend son enseignement.
Vermeil s’est demandé ce qui a permis l’émergence du nazisme en Allemagne. À ses yeux, le luthéranisme porte une lourde responsabilité. Cette manière de voir a beaucoup heurté les protestants français qui ont toujours eu tendance à surestimer Luther et à refuser toute critique du Réformateur. Il serait évidemment faux et ridicule de considérer que Luther a engendré Hitler. Mais le luthéranisme n’a-t-il pas répandu des conceptions religieuses et politiques qui ont contribué, à côté d’autres facteurs, à l’émergence du nazisme ? Vermeil le pense ; il me semble personnellement qu’il faut, par honnêteté, l’admettre, même si cela nous est désagréable (nous préférons, bien sûr, mettre en avant Bonhoeffer, c’est plus confortable).
En France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un débat divise aussi bien les experts que l’opinion : le nazisme est-il l’aboutissement logique et normal de la culture allemande, ou en est-il une dérive, une déviation, une maladie ? Dans le premier cas, il faut contenir et surveiller l’Allemagne, soigneusement limiter sa puissance militaire, économique et politique. Dans le second cas, il faut nouer avec elle des liens d’amitié, établir d’étroites collaborations et un dialogue constant, échanger et négocier pour rendre impossible le retour des démons du passé. Certains lecteurs se souviennent des débats autour de la CED (Communauté européenne de défense) et de la rencontre entre de Gaulle et Adenauer qui tranche le débat en faveur de la seconde réponse. Vermeil participe à la réflexion et évolue d’une position au départ assez dure vers une attitude plus confiante.
Vermeil est aujourd’hui oublié. Un récent colloque, organisé à Congénies et à Nîmes par l’association Maurice Aliger (qui fait un travail culturel remarquable), dont les actes ont été publiés à L’Harmattan sous le titre Edmond Vermeil, le germaniste, permet de le redécouvrir. Il en vaut la peine.