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Pour beaucoup d’entre nous spectateurs, ce film reste très lié à Noël par son Acte I et la fête mouvementée de cette famille bourgeoise opulente d’acteurs réputés. Mais, dès le début, un premier « décalage » nous indique le chemin de Bergman : la scène du spectacle de la Nativité que met en scène la famille, présente l’Ange qui annonce à Marie et Joseph la nécessité de fuir rapidement la vindicte de Hérode. Nous sommes déjà un pas au-delà de la joie de la naissance du Sauveur.

Rapidement, Alexandre reste orphelin et sera accompagné durant tout le film par le spectre de son père. Les dernières images de son père vivant ne sont elles pas celles de la répétition de la scène de Hamlet ou le spectre du Roi révèle à Hamlet que son frère l’a tué pour épouser sa veuve ? Alexandre devient un nouvel Hamlet. L’allégresse de Noël ne masque pas longtemps les doutes qui sont au centre l’œuvre de Bergman, fils lui-même d’un pasteur luthérien : les thèmes de la perte de la foi et de comment vivre dans un monde sans Dieu.

Le remariage d’Emilie, sa mère, avec Edvard, l’évêque luthérien qui a présidé le service funèbre de son propre père provoque la rupture. Alexandre doit abandonner le monde de spectacle et de féerie de sa première enfance et entrer dans le monde de la morale, de la religion. La première question qu’Edvard pose à Alexandre lors d’une conversation sévère n’est-elle pas : « Qu’est-ce que la vérité ? »

Suit l’Acte IV, cauchemar pour les enfants et Emilie dans ce monde rigoriste où il est difficile de deviner la place d’un Dieu d’amour. L’Acte se termine par l’accident dans lequel l’évêque meurt brûlé vif : la vie peut reprendre son cours.

Le retour au monde des vivants passe par l’Acte V où Fanny et Alexandre sont recueillis chez un ami de la famille, le vieil antiquaire juif Isak Jacobi, sorte de magicien.

Lors d’une conversation nocturne, Aron, neveu d’Isak, exprime à Alexandre sa croyance : « Tout est vivant, tout est Dieu ou pensée de Dieu. Non seulement le bon mais le plus cruel. […] Personnellement je suis athée. Quand on a reçu une éducation d’illusionniste, qu’on a appris le métier, on peut se passer de toute collaboration surnaturelle. Un bon sorcier montre le compréhensible, c’est à l’assistance d’imaginer ce qui lui échappe. » Alexandre répond par une opinion révoltée contre Dieu, la seconde dans le film : « S’il y a un Dieu, c’est de la merde et de la pisse, et je lui botterai le cul. » Cette rébellion virulente n’est pas sans rappeler les élans de désespoir de Minus, l’adolescent d’un autre film de Bergman, À travers le miroir (1961), qui ne trouvera un certain réconfort qu’au moment où son père lui parle de sa propre vision de Dieu : « Je ne peux que t’indiquer mes propres espérances. C’est la certitude que l’amour est une réalité. […] Le plus élevé et le plus bas, le beau et l’absurde. Toutes les sortes. […] Je ne sais pas si l’amour démontre Dieu ou si c’est Dieu lui-même. […] Cette pensée occupe le vide de mon âme. […] Alors le vide devient richesse et le désespoir devient vie. C’est comme être gracié de la peine de mort. »

Le film se termine par une double nativité, tout humaine celle-ci, la naissance de Aurora, fille d’Emilie et du défunt évêque et de Helena Victoria, fille de Gustav Adolf, oncle d’Alexandre. Lors du banquet de baptême, Gustav Adolf, béat devant le bébé, s’exclame : « C’est tangible, mais c’est un prodige. » et termine son discours – et le film – sur ces mots : « C’est pour ça qu’il y a des raisons d’être heureux quand on est heureux. »

Image de Patrick van Dieren
Patrick van Dieren
Van Dieren Éditeur 17, rue Henry-Monnier 75009 Paris
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