Plateforme du protestantisme de liberté et de progrès

Faux plis sexistes dans la lecture de la Bible

Partager cet article :
Dominique Hernandez

Le point d’exclamation de l’intitulé du cycle 2023 des cultes-conférences du Foyer de l’Âme : « Homme et femme il les créa »… en égalité ! représente une affirmation, un manifeste, une conviction fondamentale parmi celles qui construisent non seulement le Foyer de l’Âme mais aussi l’Église protestante unie de France. Cette convic­tion a trouvé son épanouissement lorsque les Églises Réformées et Évangélique Luthérienne ont décidé que les femmes pouvaient être reconnues comme pasteures de l’Église, au même titre que les hommes. Certes il faut du temps pour que cette reconnaissance s’inscrive sans restriction dans les mentalités, et les vieux réflexes sexistes et patriarcaux n’ont pas tous disparu, mais l’accès des femmes au ministère pasto­ral n’est plus une question, c’est la réalité indiscutable.

C’est par fidélité à l’Évangile que l’Église se réforme. Cette fidélité est évaluée, interpellée par les recherches des différentes disciples de la théologie et sollicitée par l’évolution des sociétés et du monde, non que l’Église soit à la remorque de ces évolutions mais elle se doit de les entendre, de les questionner et aussi de se laisser questionner par elles. L’Église n’est Église qu’en étant ouverte, en prise avec le monde pour y porter une parole, une Bonne Nouvelle, des questions, des propositions quant à la manière d’être humain, homme ou femme, homme et femme ensemble.

Deux pionnières

Deux femmes occupent une place remarquable dans l’histoire de la prise de conscience du sexisme imprégnant la lecture des Écritures.

Elizabeth Cady Stanton, avec une vingtaine de femmes lectrices exigeantes des Écritures, a publié en deux temps, en 1895 et 1898, The Woman’s Bible, fruit d’un travail d’études approfon­dies des textes bibliques concernant les femmes pour comprendre le poids de l’androcentrisme et du patriar­cat dans les Écritures. Elle soutenait que les textes bibliques, écrits par des hommes, reflètent leurs inté­rêts d’hommes, au détriment des femmes. La Woman’s Bible devint dès sa parution un immense succès plu­sieurs fois réédité.

Elisabeth Schüssler Fiorenza, théologienne catho­lique et professeure de théologie aux États-Unis, fit paraître en 1983 un ouvrage traduit et publié en France en 1986 sous le titre En mémoire d’elle. Ce vaste travail portait en sous-titre : Essai de reconstruction des origines chrétienne selon la théologie féministe. Elisabeth Schüss­ler Fiorenza démonte les mécanismes du patriarcat qui a invisibilisé les femmes dans l’Église primitive alors même que le Jésus des évangiles et les lettres de Paul annoncent comme Bonne Nouvelle l’égalité de dignité des femmes et des hommes. La théologie féministe est clairement, avec elle, théologie de la libération grâce à la mise en oeuvre de l’outillage historico-critique pour lire la Bible, et en considérant à la fois l’interaction entre le texte biblique et la communauté qui la produit et l’inte­raction entre le texte et la communauté qui le lit.

 Faux plis multiples

Cet exposé présente trois parties : la première sur les faux plis sexistes de l’établissement du texte (traduc­tion et édition), la deuxième sur les faux plis intérieurs aux lectrices et lecteurs, la troisième sur deux textes bibliques emblématiques en matière de sexisme.

Faux plis dans l’établissement du texte

Les textes bibliques que nous lisons ne proviennent pas d’originaux mais de textes de consensus établis à partir de la masse des manuscrits et papyrus retrouvés et conservés, copiés et recopiés au fil des siècles, avec nombre de variantes témoignant à la fois de différentes traditions, d’interprétations des copistes ou d’erreurs de copie. Ainsi le tristement célèbre passage de 1 Co 14,34- 35 : «que les femmes se taisent dans les assemblées», ne se trouve pas dans le très respecté Codex Vaticanus et est considéré par beaucoup comme un ajout ultérieur à la lettre de Paul.

La traduction

La traduction est un travail aussi exigeant que déli­cat. Un choix se pose toujours au traducteur : pour un terme hébreu ou grec, plusieurs possibilités se pré­sentent. Cette épaisseur de sens est à la fois une chance et un risque. Une chance parce qu’elle déploie un espace d’interprétations, ce qui est beaucoup plus vivi­fiant et stimulant qu’un choix unique. Un risque parce que le traducteur y engage son propre arrière-fond de culture, de théologie, de pensée. La traduction devient donc le premier lieu de discrimination entre femmes et hommes. Longtemps les traducteurs ont été des hommes, cependant, même des femmes traduisant la Bible l’ont fait, le font, depuis leur propre imprégnation d’une culture patriarcale et androcentrique, depuis une institution minorant la place des femmes, depuis un point de vue inconscient ou indiscuté d’inéga­lité. Les faux plis sexistes dans la lecture de la Bible commencent là, dans la traduction.

Ainsi le mot grec sophrosunè est traduit, dans la très grande majo­rité des traductions françaises, de deux manières différentes : une pour les hommes et l’autre pour les femmes.

Lorsque Paul l’emploie pour parler de sa parole caractérisée par la sophrosunè, la traduction s’oriente vers la tempérance et la sagesse. Mais lorsqu’il s’agit d’un commandement adressé aux femmes par l’auteur de 1 Tm, il est question de modestie, de pondéra­tion et de pudeur. Aux hommes la sagesse ou la maîtrise de soi comme vertu remarquable et aux femmes la modestie comme vertu afin qu’elles ne se fassent pas remarquer. Les hommes devant et les femmes en arrière. Qui pourra dire exactement à quel point le monde a souffert de cette répartition ?

La traduction comportant forcément une part d’interprétation, un autre exemple, plus positif, en est donné dans le verset : Homme et femme il les créa (Gn 1,27). Dans le texte hébreu, il est écrit : Et Dieu créa l’humain en son image, en l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa.

Ce qui importe dans la perspective de l’auteur, c’est la fécondité, c’est la multiplication, le foisonnement et la diversité, ceux des plantes, des poissons, des oiseaux, des animaux et de l’humain. La fonction de la repro­duction de l’espèce est mise en avant au verset suivant : Et Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds et multi­pliez-vous et remplissez la terre… La bénédiction oriente ses bénéficiaires vers une descendance c’est-à-dire vers un avenir dont la dynamique est ainsi impulsée par le Dieu du poème.

La plupart des traductions interprètent les termes hébreux par « homme et femme », ce qui élargit la focale de la reproduction à l’ensemble de la vocation signifiée par l’expression à l’image de Dieu à sa ressem­blance. C’est-à-dire qu’il s’agit pour l’homme comme pour la femme de lutter contre le chaos et de favori­ser tout ce qui permet la vie abondante, foisonnante et diverse. Cela rend le lecteur plus sensible à cette visée du poème : la destinée de l’humanité dans le monde considéré comme don et comme bon. Cette destinée, à la fois appel à la gratitude, à la liberté par rapport aux idoles et à la responsabilité, est offerte également aux femmes et aux hommes, sans supériorité des uns sur les autres.

Un langage hospitalier au genre féminin, c’est-à-dire à tout être humain

La langue française donne la prééminence au genre masculin dans les accords de genre, masculin qu’elle considère comme neutre lorsqu’il y a un collectif. C’est-à-dire qu’elle absorbe le féminin dans le masculin au point qu’elle donne à entendre, penser, dire et voir un monde qui est un monde d’hommes.

L’hébreu et le grec font la différence entre humain et homme avec deux termes que les auteurs bibliques connaissent parfaitement. Traduire le mot grec ou hébreu humain par homme participe à l’invisibilisation des femmes, à leur disparition du monde construit par le texte.

Faire l’effort dans une traduction de ne pas mas­culiniser le texte à outrance, comme si c’était la seule manière de le lire, est un défi dont les traducteurs des textes bibliques ne sont pas forcément conscients s’ils n’y sont pas particulièrement sensibilisés. Une traduc­tion hospitalière et reconnaissante ouvre, par le texte, un monde où chacune, chacun peut prendre place.

De même, ce n’est pas trahir le texte biblique que d’ajouter soeurs à frères lorsque Paul interpelle les Corinthiens ou les Galates car l’apôtre s’adressait aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Il n’y a aucune raison que les femmes aient un effort, un raccord à faire pour se sentir concernées en écoutant ou lisant : Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. (Ga 5,13)

Les intertitres

Insérés dans de nombreuses éditions, les intertitres ne font pas partie du texte biblique, mais ils servent de repères lors de la lecture et représentent une manière de résumer un passage. Ils ne sont donc pas anodins parce qu’ils s’impriment facilement dans les esprits et peuvent orienter la lecture avant même qu’elle com­mence.

Dans ma Bible de confirmation, une version Segond, les pages sont accompagnées de titres servant à se repé­rer dans un livre particulier, et j’ai pu donc lire pendant longtemps sur la page des chapitres 2 et 3 de l’épître aux Éphésiens : le chrétien vivifié et sauvé par la grâce. Et la chrétienne ? Il y aurait bien eu une manière non genrée de titrer la page, ne serait-ce qu’avec un simple : la grâce sauve et vivifie.

Ou encore, le chapitre 11 du deuxième livre de Samuel est repéré par un paisible : David et Bethsabée comme si Bethsabée et David avaient agi de concert, en bonne entente, en amoureux. Alors que le chapitre donne à lire un récit de prédation et de meurtre, un récit dont les traductions édulcorent souvent la vio­lence dont est victime Bethsabée. Ainsi que le relève Catherine Vialle, théologienne catholique, dans un des chapitres de l’ouvrage collectif « Une Bible des femmes », s’il est d’usage de parler de femmes fatales et d’en trouver des exemples dans la Bible, il serait tout à fait possible de qualifier le roi David « d’homme fatal » selon la définition habituellement au féminin mais que voici au masculin : « un homme dont le com­portement conscient ou inconscient vise à amener la femme à sa déchéance ou à sa perte ou à la placer dans une situation humiliante ».

Découpage et usage des textes

« Femmes, soyez soumises à vos maris » (Éph 5,20) le slogan est bien pratique pour étouffer toute tentative de vivre dans la dignité, la responsabilité et la liberté, comme si cela était réservé aux hommes. Pourtant, il n’est pas écrit « femmes soyez soumises à vos maris » mais : Vous soumettant les uns aux autres (hommes et femmes) dans la crainte du Christ, les femmes aux propres maris comme au Seigneur car le mari est la tête de la femme comme aussi le Christ est la tête de l’Église, le Sau­veur du corps ; mais comme l’église est soumise au Christ, ainsi les femmes aux maris en tout. Les maris, aimez vos femmes comme aussi le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle…

La réciprocité de soumission qui gouverne l’en­semble du passage n’admet pas d’exception, accentuée par l’exhortation faite aux maris d’aimer leurs femmes comme le Christ a aimé l’Église. Lorsque la soumission est mutuelle, personne ne domine, personne ne place qui que ce soit sous un joug, personne n’humilie per­sonne. L’évangélisation des relations humaines et la relativisation des conventions sociales et religieuses relèvent encore de la mission de l’Église.

Faux plis intérieurs

Les témoignages des évangiles d’une égalité de considération des femmes et des hommes par Jésus sont particulièrement bien mis en évidence par Eli­sabeth Schüssler Fiorenza et après elle par beaucoup d’autres, femmes et hommes sensibles à l’équilibre, à l’impartialité et au soin avec lesquels l’homme de Nazareth regarde et parle aux unes et aux autres. Cette subversion des usages traditionnels et patriarcaux ainsi que des convictions qui les portent veut lever le contrôle que les prescriptions religieuses font peser sur les hommes et encore plus sur les femmes. Un retour à l’ordre traditionnel et patriarcal s’est pourtant opéré très tôt à la fois par souci d’inscription dans la société de l’empire et par la reprise en main des hommes face à l’émancipation des femmes.

Deux figures de femmes sont particulièrement concernées par une précompréhension en faux plis du texte biblique que la tradition et la culture patriarcales ont largement véhiculée.

Marie la mère de Jésus

Le personnage de Marie est diversement dessiné dans les quatre évangiles. Marc se montre très critique vis-à-vis de la famille de Jésus qui ne comprend pas sa mission. Matthieu focalise plus sur Joseph que sur Marie qui représente néanmoins une figure de la grâce agissante. Jean la présente comme une figure symbo­lique de l’Israël qui entre dans la foi au Christ, au Mes­sie. Pour Luc, Marie est celle qui répond d’un OUI libre et joyeux au bouleversement que la grâce produit dans sa vie jusque-là si prévisible. Marie représente ce que l’irruption et la subversion de la grâce produisent dans une existence somme toute ordinaire.

Les deux récits de Matthieu et de Luc annonçant que la jeune fille vierge va enfanter veulent expliciter d’une manière symbolique que l’enfant qui va naître est exceptionnel : fils de Dieu, envoyé par Dieu, le Mes­sie, le Christ… C’est une manière de faire de la christo­logie, pas de l’anthropologie.

Cependant, la figure de Marie va prendre une ampleur que les textes bibliques ne présupposent pas. D’évangiles apocryphes en légendes, de conciles en dogmes, la voici devenue mère de Dieu, perpétuelle­ment vierge, conçue elle-même d’une manière tout à fait miraculeuse et enlevée au ciel à peine morte… Une femme d’exception, devant laquelle les ordinaires femmes de la terre ne peuvent que s’incliner, une fois de plus. Car l’exception confirme toujours la règle pour toutes les autres !

Entre la figure d’Ève la tentatrice responsable du malheur de l’humanité et Marie l’éternelle immacu­lée, ce n’est pas que les femmes soient écartelées, c’est qu’elles n’ont aucun choix. Ne soyons pas dupes : il n’est pas seulement question ici d’une théologie mais du sexisme qui l’imprègne pour faire peser sur les femmes le poids de la supposée faute d’Ève et le poids de l’inac­cessible perfection de Marie. La lecture en pâtit, impré­gnée de révérence ou de méfiance selon ce qui se sera diffusé au préalable dans l’esprit des lecteurs et des lectrices.

La lecture des évangiles dessine pourtant en Marie une figure biblique d’humanité, sœur humaine tou­chée par la grâce, avec des doutes, des souffrances, des renoncements et de la gratitude. Cette lecture débar­rassée d’apriori témoigne que la grâce que Marie a accueillie ne lui est pas réservée, et que ce qui naît ainsi de la grâce vient au monde aussi bien par les femmes que par les hommes.

Marie de Magdala

Il est bien difficile d’oublier tout ce qui a été peint, écrit, filmé, tout ce qui est dit au sujet de Marie de Magdala, pour revenir aux textes bibliques, délivré de la pénitente, de la pécheresse repentante, de l’amante ou l’épouse de Jésus, de l’ermite dans la grotte de la Sainte Baume, de la sainte, de la Madeleine en pleurs. Il faut se détacher de la prégnance de la figure construite par les Pères de l’Église (Augustin d’Hippone, Grégoire Ier… à l’exception des Pères grecs) à partir de trois femmes des évangiles :

Marie de Magdala dont Luc signale que Jésus l’a libérée de sept démons,

Marie de Béthanie qui oint les pieds de Jésus dans l’évangile de Jean,

et la femme aux longs cheveux, une « pécheresse » écrit Luc, qui fait de même lors d’un repas chez Simon le Pharisien.

Les trois réunies en une composent la prostituée dont l’un des sept démons était forcément celui de la luxure, une sexualité débridée propre à mettre en danger les pauvres hommes… Pourtant la possession démoniaque n’est pas assimilée au péché dans les Évan­giles : il s’agit de l’impossibilité de vivre sa vie, une pro­fonde souffrance dont Jésus guérit celles et ceux qui en pâtissent.

Plusieurs évangiles apocryphes, l’évangile de Pierre, l’épître des apôtres, et les évangiles gnostiques de Marie, de Thomas et de Philippe reconnaissent à Marie de Mag­dala une place éminente bien que contestée par Pierre. Dans les évangiles, Marie de Magdala est d’abord une femme indépendante puisque son identité est rap­portée à une ville et non à un homme père ou mari. Elle est une femme riche selon Luc, une de celles qui mettent leurs ressources à disposition de Jésus comme les disciples qu’elles sont. Elle est au matin de Pâques, seule pour Jean et avec d’autres femmes pour Mat­thieu, Marc et Luc, présente au tombeau vide et envoyée annoncer aux disciples la bonne nouvelle de la résur­rection. Luc ne craint pas d’écrire que les disciples ne les crurent pas en pensant que c’était des niaiseries de femmes… L’évangéliste Jean, dans un sublime dia­logue entre Marie et le Res­suscité, la présente comme celle qui est envoyée, apôtre avant tous, annoncer la résurrection du Christ. Dans son récit, Marie de Magdala passe de l’emprise de la mort et du deuil à la restauration dans une exis­tence renouvelée, ce qui en langage biblique se dit aussi résurrection.

Les théologiennes féministes, avec Elisabeth Schüss­ler Fiorenza, se sont efforcées de retracer la double tra­dition concernant Marie de Magdala dès les débuts du christianisme : celle de l’évangile de Jean qui fait d’elle un modèle de disciple reconnaissant la voix du bon berger, une figure ouverte aussi bien aux femmes qu’aux hommes, et celle du courant pétrinien majoritaire qui s’ef­force de gommer l’importance de Marie de Magdala au profit de Pierre, en privilégiant l’androcentrisme de l’Église naissante.

L’apôtre Paul ne cite pas son nom dans la liste des témoins des apparitions du Ressuscité qu’il rapporte en 1 Co 15. Est-ce parce qu’il n’en a pas entendu parler ? Paul cite suffisamment de femmes avec lesquelles il travaille et envers lesquelles il est reconnaissant pour ne pas être suspecté de misogynie.

Deux exemples pour enlever des faux plis

1 Corinthiens 11 : Paul et les femmes

Des livres entiers sont consacrés à la manière dont Paul considère les femmes, et tous prennent en compte la première épître aux Corinthiens. Les femmes prennent la parole à Corinthe, prières et paroles pro­phétiques dans l’assemblée. À aucun moment et d’au­cune manière l’apôtre ne le leur interdit. Ce qui motive l’intervention de Paul au sujet des interventions des femmes dans l’Église de Corinthe peut être seulement déduit et il semble bien que ce soit une question de tenue vestimentaire, plus particulièrement le fait que les femmes parlent tête nue contrairement à ce que leur imposent les normes sociales.

Ce n’est certainement pas le passage de ses épîtres dans lequel Paul se montre le plus clair et le plus convaincu. En effet : entre le verset 5 : toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non couverte fait honte à sa tête : c’est comme si elle était rasée, et le verset 15 : pour une femme c’est une gloire (de porter des cheveux longs). Car la chevelure lui a été donnée en signe de vête­ment, on peut vraiment se demander ce que souhaite Paul : la chevelure suffit-elle ou pas ? L’argument de la nature (v.14) est pour le coup tiré par les cheveux puisqu’il s’agit là d’une question de culture, les cheveux des hommes poussant autant que ceux des femmes.

Ce sur quoi Paul insiste véritablement est la récipro­cité des relations entre hommes et femmes et sur leur commune situation devant Dieu, en Christ : les versets 11 et 12 sont introduits par un toutefois qui marque l’importance de ce qui suit. Il s’agit là du cœur du mes­sage de l’apôtre : l’identité d’une personne ne tient pas aux regards portés sur elle par la société mais à la rela­tion intérieure que cette personne entretient avec Dieu et avec elle-même, en Christ. Une autre expression en est donnée par l’apôtre dans l’épître aux Galates : Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme car vous êtes tous un en Jésus-Christ. (Ga 3,28) Et toutes les relations humaines se vivent alors sous le signe de la réciprocité, ce qui induit des relations de sujet à sujet, en égale dignité, femmes et hommes.

Or cette dignité reconnue aux femmes par l’apôtre n’a pas résisté longtemps à la pression de l’environ­nement patriarcal. Outre l’ajout honteux dans la pre­mière épître aux Corinthiens au chapitre 14 (que les femmes se taisent…), d’autres auteurs, se réclamant parfois de l’apôtre Paul, ont refermé l’ouverture pau­linienne en instaurant à nouveau une hiérarchie entre hommes et femmes : 1 Timothée, Tite, 1 Pierre. Même si l’étude attentive de ces textes permet de les nuancer, il n’en reste pas moins qu’au tournant entre le premier et le deuxième siècle, les femmes ont été repoussées à un rang secondaire par l’Église et ses autorités toutes masculines, ce que l’adoption ultérieure de valeurs de conquête, de pouvoir et de domination, même au nom de l’Évangile et pour sa cause, a encore renforcé.

Pour en revenir aux Corinthiennes et à ce que Paul écrit, ce qui détermine alors la place des unes et des autres et leurs relations, et qui relève de l’égalité devant Dieu, échappe alors à ce que l’apôtre évoque quand même et qui est devenu dans l’Église un argu­ment majeur de minorisation des femmes : ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme mais la femme de l’homme ; en effet, l’homme ne fut pas créé à cause de la femme, mais la femme à cause de l’homme. (1 Co 11,8-9)

Car cela est tout à fait discutable.

Genèse 2 : l’homme et la femme

Nous toutes et tous, nous devons le dire et le redire : la femme n’est pas tirée de la côte d’Adam. Cette mons­truosité est pourtant tellement ancrée dans les esprits que même celles et ceux qui ne sont jamais entrés dans un temple ou une église et qui n’ont jamais ouvert la Bible l’ont entendue, et hélas souvent retenue. De quoi légitimer un comportement affreusement sexiste, ou de quoi envoyer la religion, la Bible et Dieu aux oubliettes de la pensée d’un passé barbare.

Il suffit pourtant de traduire les mots du texte hébreu pour lire un autre texte que celui qui hante et déforme les esprits des hommes et des femmes. Ce n’est pas l’homme qui a été d’abord modelé, c’est un humain, ni homme ni femme. L’humain, adam, ce qui n’est pas encore un nom dans le récit et qui signifie le glébeux ou le terreux, n’est pas genré à ce moment. Ce qui est en question c’est sa solitude d’humain car même Dieu n’est pas l’interlocuteur ou le partenaire qui engagera l’histoire. Les animaux ne le sont pas non plus.

Ce que l’Éternel veut, dans le récit, c’est faire pour l’humain un secours qui soit comme un vis-à-vis. Toutes les traductions qui font lire autre chose : une aide qui lui soit accordée, qui lui convienne parfaitement, qui soit son vis-à-vis, semblable à lui, comme quelqu’un devant lui… déforment gravement le texte. L’hébreu parle clairement non pas d’une aide, mais d’un secours et même d’un secours vital. Dans la Bible hébraïque, les autres usages de ce terme hébreu renvoient dans leur quasi-totalité à Dieu lui-même. Le secours est indis­pensable à l’existence, pour l’existence de l’humain qui seul ne survit pas. Ce n’est pas une aide, facilement assi­gnable à une place secondaire, un coup de main quand l’homme en a besoin, une subalterne à cantonner dans certaines tâches, une subordonnée qui doit être dirigée.

Ce secours vital est un vis-à-vis : à la fois différence et égalité, une différence qui ne soit pas motif de hié­rarchie, une différence qui ne se dégrade pas en domi­nation. Vis-à-vis, visage à visage, à hauteur égale, sinon ce n’est plus un vis-à-vis. Il se peut même que le vis-à-vis puisse donner lieu à une confrontation, front à front, là aussi sans subordination de l’un ou l’une par rapport à l’autre.

C’est ainsi que la femme est construite, à partir d’une opération quasiment chirurgicale dans laquelle il n’est pas question d’une côte. Pour une raison très

simple et si évidente : le mot hébreu ne désigne jamais une côte, il n’est jamais traduit ainsi dans ses autres occurrences. Il signifie côté, une partie qui n’est pas accessoire parce qu’elle peut aller jusqu’à la moitié. Ce n’est pas un petit os qui est pris à l’homme pour faire une femme, c’est un côté qui est pris à l’humain. Ce qui reste de l’humain à qui un côté a été pris pour en faire la femme, c’est l’homme, qui est, comme la femme, un côté de l’être humain et en même temps, comme la femme, pleinement un être humain.

La réaction de l’homme, lorsque Dieu lui amène la femme, lue sans recul ni critique justifie malheureuse­ment la lecture sexiste : Cette fois c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise. (Gn 2,23)

L’homme ne parle pas à la femme ni même à Dieu. Il parle d’elle de son point de vue à lui qui n’a pour­tant rien vu de la manière dont la femme est apparue, un point de vue très autocentré. Alors forcément, il se trompe. La jubilation de la découvrir est associée au défaut de compréhension et l’interprétation n’a pas souvent corrigé la perspective. L’erreur de l’homme et le silence de la femme altèrent le « bon » qui était la visée du projet divin. L’être humain n’est plus seul, ils sont deux, mais quelle difficulté de devenir homme et femme et de devenir homme et femme se reconnais­sant mutuellement en relation d’égalité !

La Bible, une ouverture

La Bible n’est pas un mode d’emploi. Elle est miroir et ouverture.

Elle est miroir parce qu’en se confrontant aux textes y compris les plus terribles, le lecteur est amené à une prise de conscience des ressorts et des effets de la lâcheté, du mensonge, de la cupidité, de l’injustice et de la violence qui défigurent l’humanité.

Elle est ouverture parce que malgré tout, tout cela qui se répète, elle fait signe vers d’autres chemins de vie et de vie commune. Malgré tout, malgré le patriarcat, le sexisme, les discriminations, les hiérarchies instituées, la jalousie, la peur de l’autre différente, elle fait passer un goût de liberté, de justice, de considération d’autrui, sans aucune mièvrerie, sans esprit de revanche.

En cela elle est témoignage pour toute femme et tout homme qui dans son intériorité, sa conscience, son âme, est en quête d’une vérité d’être non soumise aux traditions et aux préjugés. Cette vérité d’être ne tient pas dans un discours déjà prêt mais elle est advenue au travers d’un événement de parole qui ne se décrète pas.

La Bible est témoignage qui donne à discuter, à se parler, à chercher encore, à découvrir des écarts où la pensée est relancée, à puiser dans ses ressources de quoi envisager l’existence, les relations, le monde, l’essentiel. Elle questionne la grammaire du monde de chacun, et jusqu’à la grammaire du langage, en y introduisant une dynamique libératrice.

Certes le poids de l’histoire et des traditions est particulièrement pesant pour les femmes. Mais il a été soulevé, la chappe a été fendue, pas encore pour toutes et tous, mais la dynamique est engagée depuis plus d’un siècle. Nous en sommes tous au bénéfice, femmes et hommes. Les hommes ne perdent rien à ce que les femmes soient considérées avec la même dignité qu’eux. Les hommes ne sont pas privés de leur capacité d’être et de devenir quand les femmes se tiennent en vis-à-vis d’eux.

Homme et femme il le créa : humains ensemble à sa ressemblance, à son image, dans la même dignité et avec la même vocation.

Image de Dominique Hernandez
Dominique Hernandez
est pasteure de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’Âme à Paris.
Partager cet article :

Vous venez de lire librement un article de librecroyant-e.com. Nous avons choisi l’ouverture à tous et la gratuité totale, mais ce site à un coût et il ne peut se financer que par votre don. Chaque euro contribuera au partage de ces lectures.

Vous pouvez également nous suivre sur les réseaux sociaux, via les icônes ci-dessous

S'abonner à la newsletter