Le droit de grâce pose deux problèmes.
D’abord, il vient d’une prérogative des Rois liée à leur sacralité. Nos Présidents, certes élus, mais pas sacrés, en ont hérité. Il les embarrasse parce qu’il porte atteinte au principe républicain de la séparation du politique et du judiciaire et qu’il fait appel à l’arbitraire d’un souverain, sans garantie d’impartialité.
Ensuite, comment l’articuler avec la justice ? Quand le capitaine Dreyfus a été gracié, ses défenseurs ont été mécontents. Ils ne voulaient pas la grâce mais une sentence équitable. Dans le cas de Madame Sauvage, on dénonce une peine qu’on estime injuste en raison de ce qu’a subi cette femme. Un acquittement pur et simple aurait été inapproprié, parce qu’elle a commis un meurtre et que personne n’a le droit de se faire justice lui-même. Une peine symbolique aurait paru acceptable, mais elle devrait relever de la justice, pas d’une grâce.
Si le droit de grâce accorde une place à l’humanitaire et au compassionnel, et atténue ainsi des souffrances, tant mieux. Il ne faut cependant pas masquer son incohérence. Dans la Bible, la grâce divine est « restauratrice » ; elle rétablit une juste relation qui a été brisée ; elle transforme et reconstruit. C’est ce qui lui donne du sens. La grâce présidentielle a le seul pouvoir de dispenser d’une peine. Dans le meilleur des cas, elle représente un moindre mal en corrigeant les effets de lois et de sentences qu’à tort ou à raison, on juge excessifs.