Quand les Pères de l’Église nous surprennent et nous questionnent… Jacques-Noël Pérès, professeur de patristique à la faculté de théologie protestante de Paris, partage pour nous ces trésors du patrimoine chrétien.
Défions-nous de nos façons de penser humaines et terrestres; lorsque nous traitons des questions divines, gardons-nous d’affirmations violentes et téméraires. Défendons plutôt la pureté des paroles célestes contre la malice d’interprétations équivoques et impies. Lisons ce qui est écrit, et essayons de comprendre ce que nous avons lu ; ainsi nous acquitterons-nous des devoirs d’une foi parfaite.
Hilaire de Poitiers (ca. 315-367)
De la Trinité VIII, 14
Il a trop souvent été de mise parmi les théologiens, de vouloir imposer leurs vues avec détermination et même opiniâtreté, pour ne pas dire avec rage, la fameuse rabies theologica. Non que leurs opinions toujours aient été dénuées de sens. Il leur a bien fallu parfois défendre ce qui leur paraissait relever de la vérité, voire de la liberté de conscience. On se souvient à cet égard du beau discours de Martin Luther devant la Diète de Worms. Il en appelait en fin de compte à l’Écriture, seule capable de le convaincre de la légitimité ou non des arguments de ses adversaires. Le problème reste que tant ce qu’avançait le docteur de Wittenberg, que ce qu’affirmaient les théologiens de Rome – et pour être juste il faudrait y ajouter tout ce qui depuis vingt siècles a été dit de Dieu, de son œuvre, de son dessein, de l’homme devant Dieu et avec Dieu – demeure une interprétation.
Pour moi, j’aime lire la Bible, parce qu’elle demande à être interprétée, à l’être par moi aussi. Elle cesse de n’être que de l’encre sur du papier, dès que je m’astreins à tâcher de comprendre ce qu’elle a à m’apprendre sur moi et pour moi, pour ma vie, pour la société au sein de laquelle je vis ; j’y entends alors une parole, que je veux écouter parce qu’elle fait sens ; je veux dire qu’elle prend une signification toujours nouvelle et qu’elle m’indique une direction pour me mettre en route.
Suis-je présomptueux de penser cela ? Non, je ne fais que suivre ce qu’enseignait Hilaire. Lui-même, alors exilé en Phrygie pour ses prises de position antiariennes, confronté sur place aux théologiens orientaux, fut bientôt persuadé que pour mieux rendre compte de sa foi, il devait réévaluer non seulement les assertions des ariens, mais également les allégations de leurs opposants, quitte à revoir ce qu’on enseignait en Occident. Son traité De la Trinité est précisément une manière pour lui de montrer, à la lecture de la Bible, que l’alternative n’est pas Arius ou Nicée, mais qu’il est une voie qu’il faut découvrir, déblayer, dégager ; elle ne laisse à l’écart ni l’un ni l’autre en les conduisant à dialoguer en abandonnant les conjonctures et les comportements par trop abrupts. À comprendre que doctrine n’est pas foi.