Le philosophe Jacques Derrida a forgé ce mot pour désigner l’attitude de celui qui accueille en évitant d’être dérangé. Il soumet l’arrivant à ses règles et lui impose de devenir semblable à lui. Dans hostipalité, il y a à la fois hostilité et hospitalité : on reçoit l’autre et on s’en défend. Peut-il en aller autrement ? Doit-on, comme le père de l’enfant prodigue, sortir de soi et de chez soi, sacrifier son bien (le veau gras), pour que l’autre puisse entrer ?
Dans l’Apocalypse, le Christ déclare : « je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un … m’ouvre j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi ». Le texte ne dit pas « nous souperons ensemble », avec un « nous » qui effacerait la différence. Le « je » et le « lui » demeurent. Bien sûr, rencontres et relations nous font changer. Pourtant, dans une vraie convivialité, chacun, tout en évoluant au contact de l’autre, garde sa propre personnalité. Il n’en est ni dépossédé ni aliéné ; au contraire, elle se développe et s’enrichit.
« On est chez nous » proclame un slogan. Il dit juste, à condition d’ajouter que l’autre a aussi sa place chez nous ; il peut y être « chez lui » sans que nous soyons expropriés ou délogés ; « l’espace de notre tente » n’en est pas diminué mais augmenté. Dans un monde où les migrations se multiplient, arriverons-nous à établir des relations fraternelles, fécondes et dynamiques sans nous perdre nous-mêmes ni obliger les autres à perdre ce qui nous les rend étrangers ?