Le dimanche 28 novembre dernier, le peuple suisse a accepté à une majorité de 57,5 % des votants une initiative populaire interdisant la construction de nouveaux minarets. La participation au vote (53,3 %) a été relativement élevée pour un scrutin de ce type. Fait notable : les électeurs des trois cantons romands de tradition protestante, Genève, Vaud et Neuchâtel, ont rejeté cette initiative, de même que ceux des villes les plus importantes.
Un petit groupe de Suisse alémanique (de langue allemande) avait lancé cette initiative et rassemblé les 100 000 signatures requises. Le moment venu, le gouvernement fédéral l’avait fermement combattue, mais n’avait pu dissuader les chambres fédérales (parlement) de la valider, tout en désapprouvant nettement son contenu. Tous les partis politiques sauf un (droite populiste) en avaient recommandé le rejet, de même que les Églises tant protestantes que catholique. Les sondages prédisaient un vote négatif, mais se sont lourdement trompés : la proportion de « oui » a excédé leurs prévisions de quelque 20 %.
Qu’est-ce qu’une disposition touchant en fait à la police des constructions (il ne s’agit que de cela, au sens strict, dans le libellé du texte validé par le vote du 28 novembre) vient faire dans une constitution ? Cela tient au fait que le droit d’initiative n’accorde au peuple que celui de proposer un nouvel article constitutionnel quel qu’en soit le contenu. Les électeurs qui ont voté « oui » ne se sont-ils pas rendu compte de l’anomalie à laquelle ils prêtaient ainsi la main ? La propagande des milieux favorables à l’initiative a tout fait pour les persuader du contraire : il s’agissait selon eux de parer à une « islamisation rampante » du pays (sic). Du coup, la passion a pris le pas sur la raison, et la votation du 28 novembre est devenue le fourre-tout des peurs, des frustrations et des méfiances de tous ordres envers les autorités politiques, les Églises et même les médias.
Les zélateurs de l’initiative n’ont cessé de répéter qu’en voulant interdire la construction de minarets, ils ne s’en prenaient ni aux musulmans ni à l’islam en tant que tel, mais à un symbole politique. Ils ont eu raison sur un point, mais d’ordre trop rationnel pour avoir compté dans l’esprit des gens : les musulmans de Suisse (quelque 400 000, soit environ 6 % de la population) pourront continuer à fréquenter leurs mosquées voire à en ouvrir de nouvelles, sans se heurter à aucune difficulté. La liberté de culte et de religion leur reste fermement garantie. Mais au lendemain du vote, il a bien fallu se rendre compte que les musulmans, eux, ne l’ont pas entendu de cette oreille : le refus de nouveaux minarets les a atteints dans leur identité profonde. Ils ont le sentiment de n’être pas respectés, en dépit du fait que, de cas en cas, ils bénéficient de beaucoup de compréhension, par exemple dans les écoles à l’égard des filles portant le foulard, ce qui n’est pas le cas partout en Europe.
Consultés dans les mêmes conditions qu’en Suisse, les électeurs des autres pays d’Europe occidentale auraient très probablement voté comme eux. Le respect envers la religion d’autrui n’est pas encore une cause gagnée dans le coeur et la conscience des Européens. Quand on sait qu’en Suisse, le troisième âge (celui qui a encore été dûment catéchisé) participe plus massivement aux votes que le reste de la population, on doit se demander si cette catéchèse, justement, n’a pas été en grand déficit sur le chapitre de la rencontre du christianisme et des autres religions. C’est effectivement le cas. À force de répéter que le christianisme est la seule « vraie » religion, ou que le Dieu des chrétiens est le seul « vrai » Dieu, on a semé des graines d’intolérance là où il eût fallu préparer tout un chacun à respecter suffisamment son prochain pour accepter qu’il soit différent, en particulier sur le plan des convictions fondamentales.
Le libéralisme protestant a encore du pain sur la planche !