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André Gounelle

Plutôt que fondement, principe, origine, Dieu n’est-il pas mouvement, contestation et élan ? Au lieu de le situer dans le passé, ne faut-il pas le penser comme avenir ? Le christianisme est-il archéologie (recherche des reliques et des racines) ou eschatologie (orientation vers ce qui vient et construction du futur) ?

Quand en 1538, Olivétan, un cousin de Calvin, traduit en français pour la première fois la Bible, il choisit de rendre un des noms les plus fréquents de Dieu dans l’Ancien Testament, le tétragramme Yhwh, par « l’Éternel ». Cette traduction originale (elle n’a d’équivalent ni en allemand ni en anglais) a été largement adoptée par les protestants et les juifs francophones. Si elle a des mérites, elle a aussi un gros inconvénient. Nous avons tendance à définir l’éternité par l’absence de temps et à penser que, s’il est éternel, Dieu n’a ni passé, ni présent ni avenir. Le titre de cet article relève, dans cette perspective, du nonsens, voire de l’inconvenance.

Cette conception d’une éternité divine hors temps me paraît fausse et trompeuse. Que Dieu soit vivant, comme le proclame la Bible, implique qu’il est temporel. La vie se déroule toujours dans des moments successifs et conjugue la continuité avec le changement. À mon sens, Dieu a bel et bien un passé (il y a une « histoire de Dieu » étroitement liée à celle des humains), il a également un présent (une actualité dont témoignent les croyants) et, enfin, il a un avenir. Cet avenir de Dieu me semble jouer un rôle essentiel dans la manière dont nous le comprenons et le vivons.

Pour beaucoup de gens, le mot « Dieu » désigne un être absolu, parfait, infini, qui gouverne et connaît tout, qui se situe hors du temps et de l’espace, qui ne dépend de rien ni de personne, en qui il n’y a aucun manque. Les athées et les théistes s’accordent, pour la plupart, sur cette notion de Dieu qui leur paraît aller de soi. Ils se distinguent et s’opposent en ce que les athées nient qu’il existe un tel être alors que les théistes croient en sa réalité.

Cette idée courante de Dieu ne correspond, pourtant, ni à ce qu’on lit dans la Bible ni à ce que vivent les croyants. Elle fait de Dieu un fondement plutôt qu’un mouvement ; elle voit en lui la puissance qui maintient l’ordre existant et non celle qui fait toutes choses nouvelles ; elle le lie au surnaturel et l’écarte du quotidien et de l’ordinaire. La Bible décrit un Dieu en lutte contre des forces négatives, humaines et démoniaques, qui lui tiennent tête et le mettent fréquemment en échec. Elle n’affirme pas que tout est décidé et déterminé par lui. Elle proclame, ce qui est très différent, que la puissance divine, qui est celle de l’amour, ne sera jamais définitivement vaincue ni anéantie ; elle finira par l’emporter sur ce qui lui résiste, l’injustice, la haine, le malheur, la misère et même la mort.

Je me sens parfois assez proche de l’athéisme dans son refus de la doctrine classique de Dieu. Je m’en différencie fondamentalement en ce que ce refus, loin d’éliminer Dieu, s’accompagne, chez moi, de la conviction qu’on peut et qu’on doit penser autrement son être et sa relation au monde. On croyait l’avoir assez exactement défini. Il n’en est rien. On s’aperçoit que la doctrine de Dieu est à réformer et sera probablement toujours à réformer.

On a tort de juger glorieux et magnifiques des qualificatifs tels que tout-puissant, omniscient, impassible, illimité. En les écartant, on n’aboutit pas, comme on me le dit parfois, à un « sous-dieu », à une divinité de rang métaphysique inférieur. On n’honore pas Dieu en imaginant sa grandeur sur le modèle, même sublimé, de celle des despotes d’autrefois et des tyrans d’aujourd’hui. Il faut opérer un renversement radical de valeurs trop souvent admises. La majesté ne consiste pas à dominer et assujettir mais à aimer et libérer. Il y a de la noblesse à persuader et à inspirer ; il n’y en a pas à contraindre.

Aucune théologie, qu’elle soit traditionnelle ou novatrice, ne peut se prétendre excellente et définitive. La doctrine de Dieu, même si elle a un passé, est toujours et essentiellement à venir. Nous avons à peine commencé à penser Dieu et nous n’aurons jamais fini de le penser.

Pour le croyant, Dieu est ce ou celui qui donne sens à sa vie et au monde. Que faut-il entendre exactement par « sens » ? À cette question, on donne deux réponses différentes.

En premier lieu, on appelle « sens » ce qui marque l’aboutissement d’une quête, ce qui conclut un itinéraire, ce qui fournit la solution d’une énigme. Quand on l’a trouvé, il n’y a plus besoin de s’interroger, on n’a plus rien à chercher. On possède la vérité ; on a un savoir, sinon total, du moins suffisant et satisfaisant. On a acquis ou reçu l’essentiel, il n’y a pas quelque chose d’autre, de plus ou de mieux, à attendre ou à espérer. Ainsi compris, le sens représente un arrêt, un terminus ; il fige un présent, il n’ouvre pas un avenir.

En second lieu, « sens » désigne une direction, comme le panneau sur la route qui indique non pas qu’on a atteint le but, mais qu’il y a encore du chemin à parcourir. Il est alors relance, étape nouvelle, trajet qui reprend et se continue. C’est en cette deuxième acception que j’associe le Dieu dont parle la Bible au sens. La foi ne donne pas toutes les réponses, elle pousse à chercher, à découvrir, à inventer.

Dans la Bible, les révélations divines qui se succèdent orientent souvent vers autre chose qu’elles-mêmes ; elles envoient vers du futur. Abraham ne vit pas d’un exaucement, mais d’une promesse. La loi donnée à Moïse au Sinaï génère l’attente d’un messie. Même le Christ, révélation suprême de Dieu pour un chrétien, ne favorise pas une foi qui se contenterait de gérer ce qu’il a apporté ; il tourne les siens vers un horizon et un but qu’il appelle le Royaume de Dieu. Le Dieu biblique empêche de se contenter de ce qu’on sait, de ce qu’on croit, de ce qu’on a et de ce qu’on est. Il ne cesse d’inquiéter, d’appeler, d’interpeller. Quand on pense être arrivé, il fait comprendre qu’on a à peine commencé le voyage. Quand on s’imagine bien le connaître, il se dérobe ; lorsqu’au contraire, on s’interroge et qu’on cherche, c’est lui qui anime notre quête. Il ne met pas au repos, il secoue et envoie plus loin. Il ne nous offre pas un immeuble où nous installer, il ouvre des chantiers, il nous fait entrer dans un projet.

J’ignore quel est le dessein de Dieu pour l’univers. Par contre, son objectif pour nous me paraît clair : il vise notre transformation, afin que les êtres bestiaux, monstrueux, aux coeurs de pierre que nous sommes souvent, deviennent des êtres vraiment et authentiquement humains, aux coeurs de chair. « L’homme est une espérance de Dieu », a écrit Charles Wagner. L’avenir de Dieu, c’est l’homme à venir, l’homme véritable, cette nouvelle créature à l’image du Christ dont parle l’apôtre Paul.

Nous sommes à une époque où l’avenir effraie. La dégradation écologique menace gravement la Terre ; les évolutions politiques, sociales, économiques, culturelles de l’humanité nous inquiètent. Nous avons l’impression d’aller vers des catastrophes et non vers des lendemains qui chantent. Il devient incongru et irréaliste de croire en l’avenir. Le courage de vivre dans l’espérance en dépit des crises, à contre-courant des peurs, des résignations et de la morosité ambiantes, voilà ce que suscite Dieu en nous.

Schweitzer disait que le Nouveau Testament allie pessimisme (un diagnostic assez sombre sur le monde) et optimisme (la conviction que des changements sont possibles). Quand on se réfère à une divinité intemporelle et à un monde figé, on ne peut que subir et accepter, comme le demandait la sagesse stoïcienne. En témoignant d’une puissance qui agit et suscite du nouveau, la foi chrétienne appelle au mouvement et au dynamisme. Dieu conduit à autre chose que ce qui est. Son passé et le nôtre n’ont de sens que parce qu’ils sont dépassés ou à dépasser. Il n’est présent et n’a une présence que parce qu’il oriente vers un futur possible. Il est actuel quand il nous mobilise pour participer à son action transformatrice en nous et autour de nous. Hier comme aujourd’hui, dans le monde aussi bien que dans notre existence, Dieu est avenir.

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André Gounelle
est pasteur, professeur honoraire de l’Institut Protestant de Théologie (Montpellier), auteur de nombreux livres, collaborateur depuis 50 ans d’Évangile et liberté.
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