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Le mythe : face cachée de la science et de la foi ?

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Gilles Bourquin

La théologie et la science peuvent être considérées comme deux domaines séparés. Pourtant, Gilles Bourquin pense qu’un point de rencontre existe : l’éthique et la spiritualité, que ces deux domaines abordent nécessairement.

  Lorsque les premiers philosophes grecs élaborent leurs conceptions de la nature à partir des récits de la mythologie grecque, ils donnent naissance à la fois à la pensée philosophique et à la pensée scientifique, encore étroitement confondues. Aux théogonies et aux cosmogonies relatant la naissance des dieux et du cosmos, ils substituent la notion de principe. Pour se débarrasser du mythe, ils définissent le principe comme l’origine et le fondement permanent de toutes choses : une sorte d’absolu assurant la cohérence de l’univers. Cependant, ils ne s’entendent pas sur sa nature : l’un d’eux identifie le principe à l’eau (Thalès), un autre à l’air (Anaximène), ou encore à des notions plus abstraites comme l’infini (Anaximandre), le nombre (Pythagore), la pensée animée (Héraclite), l’être unique (Parménide, Zénon) ou multiple (Empédo cle).

  Cette transition de la pensée mythique à la pensée rationnelle suscite le débat encore aujourd’hui. Pour les uns, la rupture est complète : on passe de l’obscurantisme religieux aux lumières de l’esprit rationnel. Pour les autres, il y a bel et bien un basculement, mais celui-ci n’est jamais complet, car il y a déjà une part de science dans le mythe, et il reste toujours une part de mythe dans la science.

  Aujourd’hui, à part dans le domaine artistique, le discours mythique a perdu sa crédibilité, mais a-t-il vraiment disparu des discours théologique et scientifique ? Dès ses origines, à l’époque des Pères de l’Église, la théologie chrétienne a dû se situer à la fois par rapport à la mythologie, à la philosophie et au discours scientifique naissant. À l’encontre de certains scientifiques actuels, qui cherchent à renvoyer la théologie au seul domaine de la mythologie, la théologie chrétienne tenta dès ses débuts de se positionner dans le domaine de la philosophie. Selon Justin Martyr par exemple, mort en 163, le Christ, logos incarné, est le seul authentique philosophe.

  La théologie, si elle renvoie bien à quelque chose qui est de l’ordre du mythe, du récit symbolique, n’en utilise pas moins des méthodes rationnelles, réfléchies, pour construire son discours. Elle est un discours compréhensible et argumenté à propos d’un Sujet qui excède la raison, et qui ne peut donc être décrit que de manière imagée par le langage humain. À partir d’un discours sur Dieu ou d’une Parole de Dieu, la théologie construit une vision ordonnée du monde, qui permet au croyant de se situer par rapport aux Écritures et aux réalités du monde dans lequel il vit.

  Étonnement, la science non plus ne se départit pas entièrement du mythe. Le noyau symbolique de tout discours scientifique, même validé par la démonstration expérimentale, réside dans son inévitable emploi de concepts schématiques pour décrire la réalité. Les concepts élaborés par les chercheurs, aussi précis soient-ils, maintiennent toujours un écart avec l’insaisissable nature du monde, de sorte que la science demeure toujours un système ouvert : elle n’a jamais fini d’apprendre et de se remettre en question.

  Cette incertitude est soulignée par les avancées de la physique moderne, qui remettent en cause les paradigmes scientifiques les plus traditionnels, à commencer par ceux d’espace, de temps, de matière et d’énergie. Au point que des principes scientifiques tels que la causalité temporelle, le déterminisme, l’universalité des lois physiques ou la distinction entre l’observateur et l’objet sont tous devenus problématiques avec l’avènement de la physique quantique. Il est donc pertinent dereconnaître que ces principes fonctionnent au sein de la science comme des « résidus mythiques », à savoir comme des références indémontrables mais néanmoins indispensables dans le cadre de nos représentations actuelles de la réalité.

  Un constat semblable peut être fait dans le domaine des sciences de la vie, traversées par les questions liées à la définition du vivant. En aval, dans les rapports entre la physique et la biologie, il y a débat au sujet de la possibilité de définir la vie à partir des seuls registres physiques (thermodynamique, chimie organique, etc.) ou au contraire de la nécessité de recourir à des notions structurelles émergentes (systémique, codification génétique, évolution par sélection naturelle, etc.). En amont, dans les rapports entre les neurosciences et la psychologie, il y a débat au sujet des rapports entre l’activité neuronale et les phénomènes psychiques (mémoire, émotions, conscience, etc.). Ici, la science rejoint malgré elle le domaine de l’esprit et de ses manifestations, ce qui conduit les scientifiques à devoir se prononcer sur des notions inévitablement liées à leurs racines mythiques (l’âme, l’inconscient, le rêve, l’espérance, etc.).

  Ces décalages entre divers horizons de représentation soulignent l’impossible unification des savoirs humains. Il y aura toujours, en sciences, en philosophie et en théologie, une multiplicité d’approches partiellement complémentaires et concurrentielles. L’ancienne distinction établie par Aristote entre la physique et la métaphysique, reprise par Kant (1724-1804) entre le phénomène (la chose telle qu’elle nous apparaît) et le noumène (la chose telle qu’elle est), demeure une limite infranchissable pour tous les discours humains, que ce soit le discours scientifique, qui décrit les interactions des éléments du monde, le discours philosophique, qui réfléchit très largement au réel et au sens, ou le discours théologique, qui pense l’existence et le monde en lien avec une intention divine. Souligner cette limite de la perspicacité de la pensée humaine est une invitation à la modestie et à l’ouverture, valeurs qui seules permettent d’envisager la complémentarité des disciplines.

  Paradoxalement, un récit biblique comme celui de la tour de Babel, aussi mythologique soit-il, dénonce clairement l’orgueil et la quête de pouvoir bien réels qui se cachent derrière toute tentative humaine d’unification des savoirs en une seule pensée autosuffisante.

  Il ne s’agit pas de placer sur un même plan le discours scientifique et le discours théologique. Une telle attitude est tout aussi aberrante que son opposé, qui consiste à les séparer complètement. Dans sa visée première, le discours scientifique n’a pas d’autre objectif que de décrire le monde réel tel qu’il est. La visée de la théologie paraît tout autre, puisqu’elle pose d’emblée un au-delà du monde qui interroge l’homme.

  La science serait donc descriptive alors que la théologie conduirait à un questionnement sur soi. Pour autant, départager radicalement leurs domaines, à la science le temporel, le terrestre, et à la théologie l’éternel, le céleste, est inapproprié pour plusieurs raisons. La science, en décrivant le monde, dégage de nouveaux possibles en générant des techniques qui nécessitent une gestion éthique en vue de l’avenir. Le scientifique devenu technicien est un acteur qui doit se poser la question du sens et de la valeur de ce qu’il réalise. C’est ici, au travers de l’éthique, que la science rejoint la gestion globale de notre mode de vie et pour finir la spiritualité.

  La théologie rejoint le même domaine de l’éthique et de la spiritualité par l’autre bout. Loin d’en rester à un questionnement sur l’ultime, sur le Dieu céleste, la théologie est appelée à se demander quelles sont les résonances de la grâce et de la foi dans la vie pratique du croyant et de la société. Elle aussi, tout comme la science, est concernée par l’avenir de l’homme. Ainsi, la science et la théologie sont appelées à dialoguer, à collaborer et à se compléter l’une l’autre sur ce large champ d’expérience et d’action qui comprend l’éthique et la spiritualité, la gestion de la vie individuelle et commune.

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Gilles Bourquin
Pasteur réformé de Rondchâtel et journaliste
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