Pour garantir la toute nouvelle liberté acquise par le peuple hébreu, Dieu donne la Loi à ce peuple en marche dans le désert. Première institution donnée dans le rien du désert, comme un symbole d’une construction nouvelle. Dans ces dix paroles fondatrices reçues au Sinaï, une est un peu particulière. Les premières concernent le divin (et le rapport de l’humain à ce dernier), les dernières relèvent davantage des relations interpersonnelles. Et entre ces deux ensembles, comme une parole charnière, se trouve celle sur le sabbat. Comme pour laisser un espace entre la loi divine et la loi humaine. Peut-être pour ne pas les confondre ou pour laisser un temps de respiration au cœur de la Loi, un espace de « rien » pour retrouver la liberté.
Cette loi du repos se retrouve ensuite en conclusion du don de la Loi (Exode 23). Encore une fois, elle vient comme temps nécessaire après l’accomplissement de toute loi. Un repos pour méditer. On la retrouve ensuite en conclusion des prescriptions (Exode 31, avant le veau d’or). Après le temps de l’action, des rites, en un mot du « faire » vient celui du « rien faire ». Entre lois et prescriptions, ce rappel du sabbat vient comme un espace de liberté. Un temps où on ne fait rien et où on ne risque donc pas de se tromper, de mal faire. Il s’agit alors d’un temps hors de la loi, un temps de repos de la Loi. Ce vide au cœur même du « faire » de la Loi donne ainsi une respiration où la liberté se vit et où la Loi elle-même peut trouver sa juste place, non pas dans un absolu mais dans la méditation et la réflexion.
Une troisième fois la loi sur le sabbat apparaît dans l’Exode (chapitre 35). Mais cette fois-ci, ce qui était jusque-là une loi en creux où le rien en fait son tout, la règle est assortie d’une recommandation précise. Jusque-là la règle était le « rien », maintenant on ajoute un « tu ne feras pas » (« vous n’allumerez pas de feu », Ex 35,3) et c’est déjà ajouter quelque chose au rien pour en faire quelque chose. Dès lors, le sabbat n’est plus la pause dans la Loi mais devient une loi comme une autre. Il n’est plus l’espace de liberté au cœur de la loi, il n’est qu’un article de plus. Il perd son sens, son utilité, sa nécessité. On peut donc penser qu’à partir de ce moment, le peuple en quête de liberté devient celui de la religion de la loi, mais d’une loi qui est inversée. Au lieu d’être l’autorisation primordiale elle devient une interdiction première. L’espace de liberté jusque-là placé au cœur de la loi devient maintenant l’image de l’interdit. Et le rien, le vide et le repos deviennent un absolu à respecter, un vide rempli d’obligation, un impératif d’inaction.
Cet impératif du sabbat va être mis en exergue dans l’évangile de Marc (2,23-28). On peut même dire qu’ici le sabbat devient le symbole de toute la loi. Mais ici, encore, le sens de la loi est renversé. Au lieu d’être le garant de la liberté, c’est-à-dire le garde-fou du pouvoir du plus fort ou des dérives de groupes, elle devient l’absolu qu’il faut respecter sans questionner, sans critiquer. Il est demandé une obéissance aveugle. Et si le pourquoi de la loi est inconnu, reste la stricte obéissance par peur du jugement et le bon sens même est perdu.
Si la nécessité se présente, l’impératif de la loi lui est supérieur. Si on meurt de faim un jour de sabbat il est interdit de cueillir un fruit car ce geste est un « faire », il est l’action interdite ce jour-là. Autrement dit, la loi qui devrait garantir la vie, l’empêche au nom de son absoluité. Et le bon sens a laissé la place à l’absurde.
Jésus, dans ce récit, revient mettre la Loi à sa juste place. Elle redevient une parole au service de l’humain, de son bien vivre, elle permet à nouveau un espace de liberté. « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». Autrement dit : la Loi est faite pour l’humain, faite pour le servir et garantir sa liberté et non pas le soumettre à une règle immuable.
En replaçant le sabbat à sa juste place, Jésus supprime son caractère légal pour en faire à nouveau cet espace de liberté premier dans la relation au divin