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Le « signe de Berlin »

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François Clavairoly

Les gestes ou les propos que l’on peut qualifier de prophétiques méritent une attention particulière et requièrent une interprétation. Le signe de Berlin, lors de la crise migratoire de 2015, est de ceux-là. Un geste, celui de l’accueil massif de réfugiés venus du Proche-Orient, et une parole d’encouragement : « Wir schaffen das ! » autrement dit, « nous le ferons, nous y arriverons ! »

À un moment où le gouvernement français tergiversait, la chancelière allemande, Madame Angela Merkel, réalisait en trois mots les souhaits sincères de bon nombre de citoyens allemands et assumait l’analyse d’élus, d’économistes et d’acteurs liés à la question migratoire.

Après l’horreur des agressions commises par l’extrême droite contre certains centres de réfugiés en Saxe, après l’émotion ressentie par l’opinion publique devant les drames vécus par les migrants et face au constat de la faiblesse démographique du pays, aux conséquences économiques réelles en terme de main d’œuvre et d’emploi, le temps « politique » était venu pour la fille de pasteur et la femme politique de parler clair.

Au plan de la communication, en Allemagne comme en Europe, ces mots constituaient en outre un signe de bienvenue, dans la longue tradition d’accueil de la culture allemande et réparaient d’un coup les effets négatifs liés à l’intransigeance allemande vis-à-vis de la Grèce en crise quelques temps auparavant. Ces trois mots prononcés le 31 août 2015 précédèrent de quelques jours la parution dans toute la presse de la photo d’un enfant mort noyé trouvé sur une plage turque (3 septembre 2015). La parole, ici et encore, était prophétique avant même l’image.

La crise migratoire de 2015-2016 verra se jouer alors l’action des pays d’Europe dans un beau désordre : ceux du Sud, obligés à l’accueil de par leur géographie, ceux de l’Europe centrale enfermés dans leur ricanement populiste, et ceux du Nord, responsabilisés parce qu’informés sur leur capacité d’accueil.

Comment l’Allemagne a-t-elle donc fait, par exemple, comme pays exemplaire, pour enregistrer en proportion cinq fois plus de demandes d’asile que la France, et en accepter dix fois plus ? Elle a pris en compte la clef de répartition des subventions de l’État fédéral aux régions, qui considère leur population et leur richesse, en s’en servant de modèle régulateur. Elle a, pour cette mise en œuvre, mobilisé son dispositif caritatif en partie lié aux confessions, en vue d’un accueil d’urgence. Au lieu de jouer sur les peurs ou de déployer les arguments de prudence, elle a tenu un discours de raison, arrimé au relais de l’administration.

La France et l’Allemagne sont toutes deux riches et généreuses. Ici, leur différentiel s’est toutefois révélé affligeant : peut-on compter la première parmi les pays les plus généreux d’Europe quand elle reçoit pour 2016 (source Eurostat) 129 000 dossiers et donne 35 000 réponses positives, quand l’autre en reçoit 755 000 et en accepte 445 000 ? Quand la France se situe au 17e rang des pays d’Europe quant à l’octroi de la protection accordée aux demandeurs d’asile, alors que la Suède, l’Allemagne, l’Autriche, Malte et la Norvège arrivent en tête ?

La question que pose le « signe de Berlin » et qui requiert une interprétation est donc la suivante : la valeur de l’hospitalité est liée à la conformité de la parole et de l’acte. Elle est valeur spirituelle tout autant que politique. Elle peut toutefois se révéler soudain, selon les circonstances, comme valeur inversée. Elle est alors nourrie pourtant à la même étymologie, valeur négative d’une hostilité à l’égard de l’hôte compris comme hostile, comme ennemi potentiel.

La référence possible à l’hostie de nos eucharisties pourrait alors fonder une tentative d’interprétation, tout autant nourrie à la même veine étymologique. Elle est à l’entrelacs de cette question difficile de la compréhension du signe de Berlin : c’est qu’au cœur d’une phrase qui dit « nous le ferons » se trouve sans doute secrètement, et au-delà de toute considération politique, économique et communicationnelle, une attitude de confiance – de foi ? – qui exprime ceci : « Nous le ferons », même si tout en nous s’y oppose, nous essaierons malgré notre hostilité.

La présence du Christ que le monde n’a pas accueilli, cette présence qui nous est rendue visible dans la foi par cette hostie offerte, rappelle inlassablement, dimanche après dimanche, que celui-là même que nous n’avons pas accueilli, qui a été abandonné, nous accueille. Et ce faisant nous pardonne de toute hostilité, nous redemandant avec bienveillance et constance d’être hôte, à notre tour, en ouvrant notre table comme est ouverte la table sainte.

« Persévérez dans l’amour fraternel. N’oubliez pas l’hospitalité ; car en l’exerçant, quelques uns, sans le savoir, ont accueilli des anges » Hé 13, 1-2.

Image de François Clavairoly
François Clavairoly
est pasteur de l’Église protestante unie de France, il est actuellement Président de la Fédération Protestante de France (FPF).
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