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Le Synode de 1872, et après ?

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Gilles Vidal

Censé restaurer l’unité des Réformés français au XIXe siècle, le synode de 1872 et sa session de 1873 rend au contraire manifeste sa fracture. Les deux tendances, évangélique et libérale, font partie d’un même ensemble confessionnel le temps du synode, mais à la suite de ce dernier, ce sont bien deux entités séparées qui tiennent parallèlement leurs assemblées sous la forme de « synode officieux » pour les Églises évangéliques et « d’assemblée » pour les Églises libérales. On se focalise souvent sur les points de discorde théologiques saillants entre les deux courants, leur approche plus ou moins littéraliste de la Bible, la place du surnaturel dans la Bible et dans la foi ou la réalité de la résurrection. Mais il faut bien voir que ces deux courants soutiennent d’abord des anthropologies antagonistes. Tandis que l’évangélisme est fondamentalement pessimiste, insistant sur la condition de pécheur et la nécessité d’une régénération rendant une sanctification plus ou moins accessible, le libéralisme s’inscrit plutôt dans une ligne humaniste déclarant qu’il peut y avoir du bon et du bien dans l’être humain, quelle que soit sa condition. Cependant ces deux courants ont en commun de tenter de trouver un langage apologétique adéquat pour leurs contemporains marqués par d’immenses progrès scientifiques et techniques qui ne sont pas sans conséquences sur le plan social. Par-dessus les polémiques abondamment relayées en chaire, mais aussi dans la presse et la littérature pamphlétaire protestante, des hommes, mais aussi des événements ont contribué non à une conciliation, mais à l’émergence d’une troisième voie de la théologie destinée à dépasser un débat stérile et mortifère.

  Des hommes

Ainsi, du point de vue intellectuel, certaines figures se présentant d’un point de vue ecclésial comme parfaitement évangéliques soutiennent parfois des positions assez proches des thèses libérales. Parmi ces figures que je définirai volontiers de charnières, tant elles tentent d’articuler l’héritage réformé et les progrès de la connaissance scientifique, je placerai sans doute Franz Leenhardt (1846-1922) en tête. Le professeur de philosophie et de sciences naturelles de la Faculté de théologie de Montauban considérait le péché non comme une chute originelle mais davantage comme une déviation morale. Pour lui, le seul qui ait réussi à surmonter cette évolution déviée est le Christ, car il a su franchir l’étape entière séparant l’animalité de l’hominité1. On peut imaginer combien à la Faculté de Montauban, « bastion » de l’orthodoxie modérée, Leenhardt pouvait passer comme une figure singulière.

D’autres théologiens comme Auguste Sabatier (1839-1901) et Eugène Ménégoz (1838-1921) ont également tenté à leur manière de sublimer en quelque sorte l’opposition entre les deux tendances en transcendant la double question de la vérité dans l’expression de la foi et de l’expérience2. A. Sabatier était pieux, il dirigeait l’École du dimanche dans la très évangélique église de l’Étoile d’Eugène Bersier. Pourtant il n’admettait pas l’idée que l’on pût imposer la foi, de l’extérieur,  à quelqu’un, fût-ce un dogme de l’Église ancienne. La foi se joue dans la vie ou l’expérience. Pour lui, les symboles – au sens d’images matérielles exprimant une réalité spirituelle – sont par excellence le langage de la religion, mais ils peuvent être critiqués tant par rapport à l’Écriture que par rapport au contexte historique de leur émergence. Son collègue de la Faculté de théologie de Paris, E. Ménégoz, concilie la thèse assez classique du fidéisme selon laquelle le salut s’obtient par la foi et l’indépendance des croyances de chacun. Celles-ci naissent de l’expérience intime, de la vie, et peuvent rejoindre la foi de l’Église. Cependant, même si leur nouvelle théologie, qualifiée de symbolo-fidéisme a été reconnue par leurs pairs, elle n’a pu percer suffisamment au niveau ecclésial comme l’a réussi le christianisme social à la charnière des XIX et XXe siècles.

Préoccupés par la division régnant entre les paroisses, Wilfred Monod (1867-1943) et Élie Gounelle (1865-1950) n’hésitent pas, en 1906 à Jarnac, à proposer une union institutionnelle aux Églises réformées, là où évangéliques et libéraux créent séparément leur Union d’Églises en application de la loi portant séparation des Églises et de l’État tout juste votée. Leur volonté consiste à dépasser le modèle classique de la paroisse, en portant l’action spirituelle au cœur du travail social – comme en témoigne la création de « solidarités » – et en mettant davantage l’accent sur la figure centrale du Christ plutôt que sur l’importance de l’étiquette confessionnelle. Il faut dire que tous deux avaient une expérience internationale qui leur permettait de percevoir « de plus haut » les divisions du microcosme protestant français.

  Des événements

En effet Monod et Gounelle furent engagés dès les débuts du Mouvement œcuménique, lors de la conférence « Foi et Constitution » de Stockholm en 1925 et celle du « Christianisme pratique » à Lausanne en 1927. Des protestants de multiples dénominations, rejoints par les orthodoxes du patriarcat de Constantinople, pouvaient mettre en commun leurs forces pour la recherche d’une unité chrétienne visible et non plus théorique. Ce contexte international a sans nul doute contribué, au début du XXe siècle à un rapprochement entre libéraux et orthodoxes français : plusieurs synodes réformés régionaux mentionnent le mouvement œcuménique naissant comme une expérience encourageante sur la voix de l’unité, et au fil des ans, bien que ces synodes se tiennent séparément, ils s’adressent mutuellement des « salutations fraternelles » lorsqu’ils ont lieu à la même période.

Enfin le traumatisme de la Première Guerre mondiale avec son cortège macabre et massif a sans nul doute éveillé au sein des Réformés français une prise de conscience sur une certaine obsolescence, devant les enjeux spirituels et moraux du moment, de divisions théologiques remontant à quarante ans plus tôt. En témoigne la lettre publique des aumôniers protestants en 1916, pointant la nécessité de l’union devant l’indifférentisme grandissant – la guerre fait perdre la foi à de nombreux soldats – et la nécessité d’une nouvelle évangélisation qui ne pourra se faire que dans la mise en commun de forces jusque-là trop dispersées.

Certes, cet appel solennel n’aura pas été complètement et immédiatement entendu par les différentes autorités ecclésiastiques, mais à la faveur d’une nouvelle génération de chrétiens, ayant connu « l’œcuménisme des tranchées » et les premiers rassemblements œcuméniques mondiaux, on peut affirmer qu’un changement de mentalité a été enclenché au sein du protestantisme français. Il se traduit au début des années 1930 par un dialogue exigeant entre les différentes Unions d’Églises d’obédience réformée, sans oublier les wesleyens, et se concrétise à Lyon au synode constitutif de l’Église réformée de France en 1938, même si tous n’adhèrent pas à la nouvelle Union réformée. Plus de 60 ans après, la trame de la confession de foi du synode de 1872 est reprise en une Déclaration, élargie et actualisée eu égard aux questions contemporaines. Elle porte la trace de bien des affrontements mais elle n’en témoigne pas moins du fait que des séparations autrefois jugées séparatrices peuvent parfois être dépassées et faire sens dans leur mise en tension discutée et assumée.

1. Franz Leenhardt, L’Évolution, doctrine de liberté, Saint Blaise et Roubaix / Paris, Foyer Solidariste / Fischbacher. 2. Voir Bernard Reymond, « L’École de Paris », ETR, 52/3, 1977.

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Gilles Vidal
enseigne l’histoire contemporaine à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Montpellier). Il est également co-directeur du Centre Maurice-Leenhardt de recherche en Missiologie.
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