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Les grands-parents préhistoriques et l’émergence de la religion

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Bernard Reymond

Toute religion se construit sur la base des connaissances existant à l’époque de sa naissance. Il est donc possible d’imaginer que c’est l’homo sapiens, dès son apparition, qui est à l’origine de toutes les grandes religions.

  Les grandes religions universalistes se nourrissent toutes de mythes, de rites et de symboles venus des religions qui les ont précédées. Ainsi l’archéologie de la Bible implique-t-elle des références aux anciens textes sumériens, assyriens, babyloniens ou égyptiens auxquels les rédacteurs bibliques ont fait de nombreux emprunts tout en les adaptant à ce qu’ils avaient eux-mêmes à dire. Les plus anciens de ces textes remontent au plus à cinq ou six mille ans. Or, surtout quand ils se présentent sous la forme de grands récits, ils ne sont pas nés de rien. Ils sont le résultat d’une longue maturation pendant les millénaires qui ont précédé l’apparition de l’écriture. Considérées sous cet angle, les religions d’aujourd’hui doivent beaucoup à la longue période qui, voilà 30 000 ou 40 000 ans, a préparé la révolution néolithique.

  On entend par cette dernière expression le changement qui a fait passer toute une partie de l’humanité du statut de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs-éleveurs ; il a entraîné la formation des premiers ensembles urbains et étatiques, et a vu croître énormément le nombre des humains vivant simultanément sur la terre (de près d’un million vers l’an – 40 000 à plus de 10 millions vers l’an – 5 000). Dans un article de Pour la science (no 410, déc. 2011), la paléoanthropologue Rachel Caspari signale que cet accroissement de population doit être allé de pair avec un allongement sensible de la durée moyenne de l’espérance de vie déjà au paléolithique supérieur. Des analyses très fines sur des vestiges humains, en particulier des dents, remontant à quelque 35 000 ans, montrent que cette durée moyenne est passée progressivement de 30 à 45 ans. Or 15 ans était à l’époque l’âge de la première reproduction. On peut en déduire que cet allongement de la durée moyenne de vie a correspondu à l’apparition d’une nouvelle classe d’âge : celle des grands-parents.

  R. Caspari remarque à juste titre que « les grands-parents renforcent les liens sociaux complexes qui participent de l’organisation des sociétés humaines ». Elle signale aussi des recherches suédoises (sans lien avec la paléontologie) selon lesquelles « les familles multigénérationnelles ont plus de chances de pouvoir inculquer à leurs descendants des leçons importantes ». Rien ne nous empêche de prolonger ces lignes. Quinze ans de vie adulte supplémentaire, c’est non seulement l’occasion de s’intéresser activement à la génération de ses petits-enfants et de lui transmettre tout un savoir pratique et symbolique ; c’est aussi celle d’approfondir sa réflexion sur la vie et la mort, d’élargir le champ de son répertoire imaginaire, de mûrir ce que nous qualifions aujourd’hui de spiritualité, d’enrichir et développer les mythes et les récits qui, à ce stade de l’expressivité humaine, permettent d’en rendre compte.

  Les grands-parents du paléolithique supérieur et du néolithique auraient-ils alors « inventé » la religion ? C’est aller trop vite en besogne que l’affirmer sans nuances. Même si bien des gens sont portés à le contester, on peut sensément partir de l’idée que ce que nous appelons « religion » est inhérent à l’homo sapiens. Elle a fait partie de son être, ou plus exactement de sa manière d’être, dès son apparition voilà quelque 100 000 ans, voire davantage (sur la foi d’analyses de l’ADN, mais sujettes à caution, certains parlent maintenant de 200 000 ans). Quelles en étaient les formes probablement variées à l’infini, nous n’en savons quasiment rien. Mais c’est cet héritage-là que nos prédécesseurs de la préhistoire paléolithique et néolithique, en particulier les grands-parents de ces âges reculés, ont repris à leur compte en le réélaborant, en le structurant narrativement, en le développant symboliquement et rituellement, en le faisant profiter des fruits de leur propre imagination spirituelle. Les religions actuelles, à commencer par le christianisme, leur doivent beaucoup, même et surtout si c’est en se situant en contraste par rapport à elles.

  Belle leçon pour les grands-parents d’aujourd’hui !

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Bernard Reymond
né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.
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