Cet article est un résumé d’un sermon d’Albert Schweitzer, prononcé le 2 juin 1907 à Strasbourg. Le texte in extenso est paru dans les Cahiers Albert Schweitzer de septembre 2012.
On pourrait soutenir que la différence principale entre notre religion et les autres vient de la place que le christianisme donne à l’Esprit. Les autres religions, en effet, se réfèrent totalement aux paroles et aux lois de leurs fondateurs. Rien de nouveau ne peut s’y ajouter. Malheur à celui qui prétend y apporter du nouveau.
Notre texte de Jean montre clairement au contraire que le christianisme ne se fonde pas uniquement sur les paroles de Jésus mais sur l’Esprit qui est encore à venir et qui conduira les hommes sur les chemins de la vérité, vers une connaissance plus grande, plus aboutie. Rendez-vous compte des connaissances qui constituent le fond de votre christianisme : les pensées de l’apôtre Paul qui n’a pas été un disciple direct de Jésus. Et puis d’autres noms encore, auxquels se rattachent vos croyances, tels que saint Augustin, Luther et les autres Réformateurs. Et encore les poètes qui ont composé les cantiques que nous avons l’habitude de chanter. Nous portons dans nos bagages de nombreuses idées des Lumières que les philosophes comme Kant, Schleiermacher ou Hegel nous ont léguées. Ceci nous montre que notre religion est un corps vivant, en évolution constante. Elle n’est pas constituée de doctrines immuables, mais elle est prise dans un processus continu de renouveau, de réformes qui se poursuit à travers les générations.
Regardez comment cela se passe dans la nature. Chaque vie représente à la fois des suites de renouveau et de dépérissement. Regardez un sapin. La partie inférieure du tronc est nue. Il y a quarante ans, de nombreuses branches sortaient de cette partie du tronc. Elles ont disparu parce que l’arbre a grandi en se renouvelant sans cesse. Et plus haut d’autres branches vont lentement dépérir pour permettre à de nouvelles de se former et de pousser.
Ainsi en va-t-il du christianisme. C’est toujours la même religion mais plus ou moins bien renouvelée à chaque époque. Vous trouverez bien dans le Nouveau Testament ce christianisme qui éclaire votre vie, mais à côté vous tombez sur des conceptions qui vous sont étrangères ou que vous jugez révolues, par exemple les descriptions de la fin du monde, du jugement dernier ou du retour annoncé de Jésus dans les nuées du ciel. Vous avez bien conscience que cela n’est plus crédible et n’a pas d’effet sur votre foi.
Si l’on avait dit aux chrétiens des premiers temps que le monde tiendra encore pendant des milliers d’années, que le Seigneur Jésus ne surviendra pas en surgissant des nuages et qu’il faut entendre par son retour que son Esprit règnera parmi les hommes sans que l’univers physique s’en trouve bouleversé, ils auraient reculé d’effroi. Même l’apôtre Paul ne l’aurait pas compris, alors que cela nous parait tellement évident.
De même, nous nous rattachons spirituellement à Luther et ses compagnons. Cependant maintes pensées qu’ils avaient exposées comme des vérités nous paraissent aujourd’hui indéfendables. Et nous en avons introduit d’autres à la place.
Nous souscrivons donc à cette déclaration de l’évangile de Jean : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire. » Jésus continue en effet à parler à l’humanité, non seulement par les mots que la tradition nous a transmis, mais aussi par son Esprit ! Tout ce qui, depuis les premiers temps, a pu être dit de vrai et de profond concernant la religion, de secourable et de lumineux pour nos prochains, l’a été par des hommes en qui s’exprimait l’Esprit de Jésus. Dans cette simple parole : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire » se montre le génie propre à notre religion, ce qu’elle a de grand et de vivant.