Dans son parcours personnel, Paul Tillich (1886-1965) a été confronté à la violence de la Première guerre mondiale en tant qu’aumônier, à la misère ouvrière en tant que pasteur, à l’Allemagne nazie en tant que professeur de théologie, à l’écart océanique entre la culture américaine et celle du Vieux Monde en tant qu’expatrié fuyant la dictature de Hitler, enfin à la culture japonaise et au dialogue avec les religions orientales, en tant que chercheur et auteur désormais célèbre. À chaque étape de sa vie, il a cherché à émanciper sa pensée théologique des sillages culturels marquant les grandes aires géographiques du monde.
Au-delà de cette palette très diversifiée d’expériences de vie, ce sont certaines notions majeures de sa pensée, comme la « systématique », la « corrélation », la « cohérence », mais aussi la « transcendance » et l’« être », qui marquent chez Tillich un réel souci de tendre vers l’universalité, qu’il reconnaît lui-même comme inaccessible à l’être humain dans les conditions actuelles de notre existence.
Dans l’introduction au livre IV de sa Théologie systématique, « La vie et l’Esprit », il écrit que « la cohérence véritable est l’une des tâches les plus ardues de la théologie ». Pour s’en approcher, sa méthode consiste à « procéder à un tour d’horizon dès qu’une affirmation nouvelle est posée ». L’universalité, jamais atteinte, est pour Tillich un horizon qui nécessite de mettre en « corrélation » toutes les affirmations de la théologie avec toutes celles des autres disciplines de la pensée humaine. Cette confrontation critique de tous les savoirs relève donc de l’honnêteté intellectuelle et non d’un désir de toute puissance.
Simplement dit, l’universalisme de Tillich réside dans le fait qu’il s’est intéressé à un maximum de sujets différents, allant des arts à la politique en passant par les sciences, en cherchant à les articuler à la pensée chrétienne. Un tel projet s’avérant titanesque, Tillich distingue sa Théologie systématique composée en cinq parties d’une Somme de la théologie scolastique, qui prétendait répondre à toutes les questions possibles.
Constatant l’impossibilité de « résumer » la pensée de Tillich, André Gounelle s’est bien gardé, dans le dossier qui suit, de vouloir être exhaustif. Il a procédé en sélectionnant quatre ouvrages du maître qu’il estime représentatifs de l’ensemble de son œuvre. C’est donc en croisant quelques problématiques essentielles qui traversent le champ de la pensée de Tillich que l’auteur entend donner une idée, succincte mais profonde, du regard que ce grand philosophe et théologien a posé sur le monde et sur la foi chrétienne.