À vous maintenant, riches ! Pleurez et gémissez, à cause des malheurs qui viendront sur vous. Vos richesses sont pourries, et vos vêtements sont rongés par les teignes ! Que je fus content en tombant sur le début de ce texte de Jacques ! Enfin, le texte révolutionnaire du Nouveau Testament qui me permettait de lever le poing plutôt que de baiser l’anneau. Tout y était, lutte des classes comprise. D’un côté les riches, de l’autre, les frères, les camarades, petits paysans, petits commerçants, petits artisans, sans fortune, mal protégés par la loi romaine qui favorise les puissants et les riches. Leur piquer leurs lingots ! Squatter leurs hôtels particuliers ! Pourtant, la fin me refroidit : pourquoi le même Jacques me dit-il d’être « patient » ? Révolutionnaire et patient, ça ne va pas ensemble. Alors, je relus le texte et me demandai ce que j’avais loupé.
Les richesses des riches « dévorent leurs chairs comme le feu ». Ça fait mal ! Ça les rouille, les ronge, les mine de l’intérieur. Ça leur pourrit la vie – au sens littéral du terme – et les transforme en injustes, désirant toujours plus d’argent, et pour cela commettant toujours plus d’iniquité… qui les ronge toujours plus. Le sort des riches ne serait pas enviable ? Mais attention, le texte n’invite ni à les plaindre, ni à les craindre. Ni à tendre la joue gauche comme dans les évangiles, ni à courber l’échine et rester à sa place comme chez Paul. Au contraire, les phrases leurs sont balancées comme des gifles. Pour les secouer : êtes-vous si heureux que ça, vous qui perdez vos vies à gagner de l’argent ?
Moi qui ne suis pas riche, je ne suis pas moins interpellé qu’eux. Ce n’est pas seulement leur sort que je suis invité à ne pas envier, mais leurs richesses. C’est leur or et leur argent qui leur communique cette rouille qui les ronge. La richesse matérielle, voilà leur malheur existentiel. « L’argent ne fait pas le bonheur, fait-il le malheur ? », comme le chante le rappeur MC Solaar. Je suis moins invité à détester les riches qu’à revoir ce que je considère comme la richesse. Je ne suis pas invité à faire une révolution qui verrait les pauvres s’approprier les richesses matérielles des riches, mais qui reconsidère ce qu’est la richesse. Et c’est plus subversif : les riches ne le sont plus si ce qui les fait riches n’a plus de valeur. Que leur restera-t-il pour asseoir leur domination ?
C’est ce travail de sape que mena Pierre Valdo et sa Fraternité des pauvres, au XIIe siècle dans la région de Lyon, et dont ce passage du Nouveau Testament était le texte fondateur. L’Église de l’époque vit combien c’était subversif et les persécuta. Ils se réfugièrent en Italie ; les protestants Vaudois sont aujourd’hui leurs descendants. Valdo et ses fidèles ne tentèrent pas une révolution les armes à la main : ils se contentèrent de donner leurs richesses et d’aller prêcher la pauvreté. Sobriété ou simplicité volontaire dirait-on aujourd’hui ? Oui, comme les communautés auxquelles s’adresse Jacques : une dissidence du quotidien, à bas-bruit. Semer des paniers bios ici, une entreprise en coopérative ouvrière là-bas, une « zone à défendre » (ZAD) au Testet ou à Notre- Dames-des-Landes où l’on n’empêche pas seulement un projet destructeur de la nature mais où l’on invente d’autres modes de vie qui se passent de la voiture et du portable. Ça rend libre de tout ça, et d’abord de la course après le mode de vie des riches qui ont – avant tout le monde – les modèles dernier cri et les plus chers.
On confie son avenir à Dieu et pas à un portefeuille d’actions. La vie ralentit et la folie du monde en est un peu freinée. Nous rejoignons le temps long de Dieu et instillons ici-bas la lente subversion de sa grâce comme le patient cultivateur sème ses graines, avec la confiance dans la force de la vie, l’assurance de l’amour du Seigneur et une conviction au cœur : l’avènement du Seigneur est proche, ce monde est « enceinte » du Royaume. Révolutionnaires, patients et évangéliques…