e passage au Maroc, un ami a été surpris de se trouver devant une proposition d’adhérer à l’islam sans autre forme de procès que de signer un papier où il aurait affirmé que « Jésus n’est pas le Fils de Dieu ». Sa foi évangélique en a été toute perturbée : « C’est quand même le comble », me disait-il. Je n’ai pu que lui faire remarquer que, dans ce contexte, cette proposition allait de soi : si un musulman reconnaissait en Jésus non pas un prophète mais le Fils de Dieu, il admettrait qu’il soit celui qui, de ce fait, met fin aux prophéties. Le prophète à qui est revenu le privilège de transmettre « la » révélation du Coran, Mahomet, ne serait plus le prophète par excellence ; il n’aurait plus de raison d’être.
On peut poser la question autrement : pourquoi les chrétiens tiennent-ils d’ordinaire tellement à ce que Jésus soit justement salué comme « le » Fils de Dieu, sinon parce que, pour eux, la révélation divine en la personne du Christ Jésus est la révélation définitive ? La croyance chrétienne la plus répandue voudrait aussi qu’il ne puisse pas y avoir d’autres christs après lui, d’autres « messies ». Mais les tout premiers chrétiens le pensaient-ils déjà ? Oui, dans la mesure où, pour eux, la fin du monde était pour demain. Non, s’ils avaient pu imaginer que l’histoire humaine allait se poursuivre pendant des millénaires — au moins jusqu’à nous. C’est petit à petit que les théologiens du christianisme se sont mis à verrouiller la situation en postulant le caractère définitif de la révélation évangélique, du moins telle qu’ils l’entendaient.
En voulant que Mahomet soit le prophète par excellence, donc le dernier, l’islam n’a fait que reprendre à son compte, en la transposant dans son propre cadre, la stratégie de verrouillage dont les chrétiens qu’il côtoyait lui donnaient l’exemple.
Le judaïsme des premiers siècles de notre ère a fait de même en refusant de voir en Jésus le Messie de la fin des temps. C’était stratégiquement le seul moyen d’assurer la pérennité de sa tradition face à une chrétienté de plus en plus envahissante et, reconnaissons-le, soucieuse d’isoler dans des ghettos cette forme de foi antérieure à la sienne.
Allons maintenant en Iran. Le judaïsme et les Églises présentes sur son sol avant Mohammed y sont tolérés, quoique dans un statut très subalterne et contrôlé. Le protestantisme, en revanche, ne l’est guère puisqu’il est une forme de christianisme apparue après l’islam. Mais surtout, l’islam chiite ne tolère absolument pas et persécute sans retenue les disciples de Bahá’u’lláh, le fondateur d’une religion tolérante et universaliste, d’inspiration coranique, apparue en Iran au XIXe siècle : le bahaïsme. La tolérer reviendrait à reconnaître et admettre que la révélation du Coran n’est pas unique et définitive.
Ces stratégies aboutissent à des exclusions réciproques rendant vain tout dialogue inter-religieux. Réfléchissons-y : la peur de la concurrence n’a jamais fait la force d’une foi religieuse !