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Sur le lien entre religions évangéliques et désastre politique

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Jeanne-Marie Gagnebin

Pour une personne issue d’un milieu européen, de confession protestante et politiquement à gauche, le désastre politique auquel nous assistons au Brésil pose de nombreuses questions. J’habite et travaille dans ce beau et terrible pays depuis plus de 40 ans. Je vous propose quelques informations et quelques hypothèses de compréhension.

Actuellement, environ 70 millions de Brésiliens se réclament des religions évangéliques, quasiment un tiers de la population. Si la croissance de ces fidèles se poursuit, ils devront dépasser le nombre de catholiques en 2040. Ils ont donc un poids politique et social de plus en plus grand.

Après les critiques, voire l’interdiction de la Théologie de la Libération, l’Église catholique est aujourd’hui profondément divisée. L’on assiste actuellement à un renouveau des courants liés au travail avec les pauvres et les très pauvres (travail qui n’a jamais cessé mais qui fut considérablement étouffé) et au travail de formation des laïcs avec la prolifération de centres de « foi et politique » qui se réclament de l’héritage de Hélder Câmara (1909-1999). Les commissions de justice et paix, issues de la résistance à la dictature militaire, sont également présentes dans beaucoup de régions. Tous ces groupes ont signé fin avril 2020 un document important, réclamant « l’éloignement du président pour sauver les vies et la démocratie ».

Mais ces activités ne remplissent pas les églises catholiques alors que de nouveaux temples « évangéliques » surgissent chaque jour sous des noms parfois baroques. L’adjectif « évangélique » recouvre une multitude de groupes dans le paysage brésilien : des courants clairement issus de la Réforme comme les Baptistes, les Méthodistes et les Presbytériens (quelques rares Luthériens au sud du Brésil), qui ont généralement une formation pastorale et une organisation synodale, à une multitude de groupes Pentecôtistes et Néopentecôtistes, qui sont la franche majorité. Toutes ces dénominations furent généralement importées des États-Unis, dès le XIXe siècle.

Regardons de plus près les Pentecôtistes et les Néopentecôtistes, puisque ce sont surtout eux qui ont soutenu et soutiennent encore Jaïr Bolsonaro. Les premiers Pentecôtistes vinrent des États-Unis, mais étaient deux missionnaires suédois, inspirés par les cultes afro-américains surgis à Los Angeles (W. J. Seymour), cultes avec beaucoup de musique, de gestes, de manifestations extatiques et affectives, de miracles ou de glossolalie, cultes qui continuent aujourd’hui dans l’« Assemblée de Dieu » (fondée à Belem en 1910, à l’embouchure de l’Amazone) et dans toutes les ramifications pentecôtistes et néopentecôtistes. Célébrations fort éloignées de l’austérité calviniste ou de la pompe abstraite de la liturgie catholique. Surtout, célébrations où les fidèles se présentent, parlent, pleurent, chantent et crient ensemble, sous les encouragements du pasteur (auto-nommé et reconnu comme tel).

Mais si ces cultes ont tellement « pris » au Brésil, c’est aussi et surtout parce qu’ils ont fourni un espace d’accueil à des citoyens totalement abandonnés à euxmêmes, sans eau courante ni égouts, sans écoles ni hôpitaux compétents. L’on estime que la moitié des Néopentecôtistes ne gagne pas un salaire minimum. Comme le fait le trafic de drogue, plusieurs de ces Églises ont su profiter de cet abandon pour occuper la place laissée vacante. Elles offrent un lieu de communication et de solidarité, les gens sont écoutés, voire aidés. Cet aspect est souligné par plusieurs Évangéliques de gauche comme le pasteur (baptiste) Henrique Vieira, à Rio.

Cet espace est aussi un terreau fertile pour l’établissement de véritables empires financiers qui reposent sur la dîme (obligatoire) et les donations des fidèles, sur la connivence du pouvoir politique (allègements fiscaux, etc.) et sur une politique de communication (radio, TV, internet) très efficace. Prenons l’exemple le plus connu : le chef de l’« Église Universelle du Royaume de Dieu », Edir Macedo, possède une fortune estimée à deux milliards de reais, est propriétaire d’une grosse chaîne de TV, de nombreuses radios ; il assure une présence constante sur les médias internet. Sans parler du gigantesque « temple de Salomon » qu’il a fait construire pour mieux assurer sa généalogie biblique, sans parler non plus du parti des « Républicains », qui représente son Église et a déjà de nombreux députés au Congrès. Macedo est le prototype de la « théologie de la prospérité » qui prêche la réussite sociale et financière comme don de Dieu (en réponse aux dons des fidèles) ; et qui prône la lutte contre Satan (auteur du coronavirus) et ses démons pour préparer le retour du Messie. Séduits par cette perspective de lutte et de salut, les fidèles le suivent et suivent donc Bolsonaro, président en guerre contre les institutions démocratiques, qui abonde dans leur sens : combat contre les méchants et acquisition de richesses. Autrefois, Macedo soutenait Lula. Maintenant, il est fidèle à lui-même, donc au pouvoir en place.

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Jeanne-Marie Gagnebin
née en Suisse, enseigne depuis 40 ans la philosophie à São Paulo (Brésil). Spécialiste de Walter Benjamin, ses articles et livres portent sur la relation entre philosophie et littérature ainsi que sur la question de la mémoire et de l’historiographie.
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