Pendant les cultes du Vendredi saint, je m’autorise parfois à laisser mon attention divaguer. Jésus sur sa croix, les soldats se partagent sa tunique « faite d’une seule pièce » ainsi qu’il est écrit (Ps 22,19). En tant que professionnelle du style, suis-je la seule à essayer d’imaginer ce qu’est une tunique faite d’une seule pièce ? À quoi ce « d’une seule pièce » correspond-il ?
Actuellement ce sont les contraintes d’industrialisation, le coût des matériaux plus techniques (laissant passer la transpiration sans s’alourdir, protégeant des rayons ultraviolets, connectés, etc.) qui font de l’adage de l’allemand Dieter Sieger « less is more » (« moins c’est mieux ») le leitmotiv de l’élégance par la sobriété. L’accent est porté sur le fonctionnel épuré, chaque geste du design est évalué, quantifié. Ainsi, les grands couturiers tels Coco Chanel – qui avait le souci de délivrer la femme du corset – et Yoshi Yamamoto, pour ne citer qu’eux, se préoccupent de reconcevoir cette seconde peau qu’est le vêtement, et de l’imaginer au porté. Ils font de l’apparence une sobriété, dans notre modernité, un luxe. Comment était-elle exactement cette tunique « d’une seule pièce » ?
Je l’imagine assez semblable à celles portées par les pieux Éthiopiens observés dans des documentaires vidéo. Une grande pièce de tissu carrée dont les pans sont régulièrement rabattus comme une écharpe de part et d’autre des épaules, à moins que dans ce cas il ne s’agisse d’un manteau… de pauvre. Un vêtement d’une seule pièce avec un repli sur le côté, de la couleur brute du matériau ? Neutre, lin ou laine… Sans souci de paraître.
Or, poursuivant ma rêverie, je réalise qu’il s’agit du même vêtement porté à l’entrée de Jérusalem quelques jours plus tôt, durant les fameuses acclamations « Hosanna, hosanna » ; était-ce sa tunique de voyage ? Sa tunique de pèlerinage ? Faite sobrement d’une seule pièce, mais sans doute de grande valeur pour que des soldats, qui ne devaient pas être mal payés, se la partagent…