Quelles sont nos représentations de Dieu ? Quels mots, quelles notions, quelles images, quels récits nous viennent lorsque nous y songeons ? Quelle relation avons-nous avec lui ? Dans le concert des points de vue qui s’expriment dans la Bible, cet extrait du livre d’Esaïe fait entendre sa voix singulière. Elle sensibilise tout l’être, l’emporte et lui donne des ailes.
Une interpellation vive
Au commencement, il y a une parole. Saisissante. Elle est en effet directement adressée au lecteur : « Ne sais-tu pas, n’as-tu pas entendu ? ». L’interpellation est vive et insistante. Contient-elle un reproche ? Serais-je passé à côté d’une réalité qui s’impose et que je suis supposé avoir intégrée ? Il y a de quoi se sentir pris en défaut, d’autant que la mise en question concerne deux fondamentaux de l’existence et de la foi selon la Bible : connaître (« savoir ») et écouter (« entendre »). Cependant, la situation est ouverte, largement : le double questionnement dit le désir intense d’alerter et de réveiller l’interlocuteur endormi, de mobiliser ses capacités à connaître et à écouter – quoi ? L’objet n’est pas identifié, il est en suspens.
La mise en présence d’un autre
Par la suite, les possibles accents de reproche sont abandonnés. Le sujet interpelé (le lecteur, la lectrice) ne reçoit pas de leçon de morale. Il n’est pas non plus enfermé dans son manquement, ni abandonné à lui-même. Au moment où tout cela aurait pu s’abattre sur lui et le condamner au repli sur soi et à la désespérance, surgit un autre, un tout autre sujet : « Le Seigneur est le Dieu de toujours, il crée les extrémités de la terre. Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas ; nul moyen de sonder son intelligence ». En somme, cet être est affranchi des bornes spatio-temporelles, actif permanent, mu par une énergie sans limites, déclaré insaisissable, donc libre.
Avec de telles qualités, on l’imaginerait bien tenté par l’auto-suffisance. Et l’être humain pourrait s’épuiser à chercher à l’atteindre, à le rejoindre. Les deux pourraient aussi être dans l’indifférence, dans l’absence de souci de l’autre. Chacun son espace, sa vie. Aucune rencontre possible.
Ce Seigneur est un présent
L’étonnant, c’est que ce Seigneur échappe à ces logiques, à ces représentations. Il est un sujet qui, librement, est présent. Il est même un présent à l’autre, pour l’autre : « Il donne de l’énergie au faible. Il amplifie l’endurance de qui est sans forces ». Il se lie à qui est limité, à qui se trouve au bord des limites, à bout de ses possibles. Il lui prodigue des ressources. Des ressources de premier choix, puisque ce sont les siennes propres. Et cela, sans justification. Par grâce.
Personne n’échappe à cette grâce. Elle n’est pas réservée à une catégorie d’êtres. Même ceux qui se pensent forts, sans failles, en sont bénéficiaires : « Ils faiblissent, les jeunes, ils se fatiguent », « même les hommes d’élite trébuchent bel et bien ! ». Les illusions que pourraient nourrir certains sont démasquées.
Déjà donné et à espérer
Le propos voit large, très large : « Mais ceux qui espèrent dans le Seigneur retrempent leur énergie : ils prennent de l’envergure comme des aigles, ils s’élancent et ne se fatiguent pas, ils avancent et ne faiblissent pas ! ». Qui « ils » ? Les catégories et les qualités jusqu’alors déterminantes sont tombées au profit d’un critère qui relève de l’altérité : la vie non plus fondée en soi-même, mais en l’autre, en l’attente de l’autre, le Seigneur. En personne d’autre. Les dieux que les humains se fabriquent sont disqualifiés.
Cette existence libre d’illusions tentantes, offerte à tous, est déployée amplement dans une finale ouverte, sans borne. Les images qui font la part belle au corps, à une dynamique de régénération selon un cycle vertueux, procurent des ailes à qui les lit. Un vol inouï, avec Dieu, l’aigle en titre dans la Bible (Deutéronome 32,10-12). L’aigle sauveur.
Bon envol avec lui !