Le Salut ! ce seul mot qui résume le catéchisme, n’éveille-t-il pas tout un monde disparu ? Ne faut-il pas se faire violence pour se mettre dans l’état d’esprit de tant de générations, persuadées que le drame de l’univers roulait sur cette alternative : sauvés ou damnés pour l’éternité ! […] et ceux-la mêmes qui s’efforcent d’y rester fidèles ne peuvent s’imaginer qu’ils y croient toujours, qu’à condition de n’y penser jamais1 ».
Ces mots de Ferdinand Buisson rappellent combien notre langage influence nos conceptions. En effet le Salut, qui devrait être une source d’espérance, devient une préoccupation si grande qu’il est une source d’angoisse.
Mais ce mot de Salut, s’il résonne comme une promesse pour une hypothétique vie qui viendrait après celle-ci, ne devrait pas être compris comme une récompense mais comme un mouvement.
Ce n’est pas un résultat mais un processus. En effet le mot de salut (Soteria, en grec), peut aussi se traduire par libération, l’action d’être libéré.
Il ne s’agit pas d’arriver à la liberté mais bien d’être dans le mouvement de libération.
Aujourd’hui le mot de liberté est utilisé à tout va. Dès que le vivre ensemble ne nous correspond plus, dès qu’une décision contrarie notre vision des choses, dès que nous devons concéder du superflu pour le bien commun, le mot de liberté est lancé. La liberté comme la valeur suprême de mon ego. Et ce mot de liberté est tellement utilisé qu’il en devient usé. Il ne dit plus rien sinon l’expression égoïste d’un désir de ne plus bouger. La liberté revendiquée devient comme une relique qu’on vénère mais qui nous maintient dans l’immobilisme. C’est comme celui qui se trouve libre et se dit « j’en reste là, je ne vais pas plus loin, je suis libre et je veux le rester ».
Paradoxalement la liberté devient une prison. Une prison d’illusions et de rêves car la liberté n’est pas un état d’être, c’est un idéal.
Cet idéal appelle à avancer. C’est pour cela qu’il nous faut parler de libération, du mouvement qui me fait sortir de mes esclavages, même les plus libertaires.
La libération c’est prendre le risque de se déplacer pour aller voir ailleurs, plus loin, et c’est savoir remettre en question, en doute, ce que je tiens pour sûr.
Voilà qui est salutaire, savoir se déplacer pour connaître une libération.
C’est à cela, sans doute, que l’Évangile nous appelle. Trouver une vérité qui nous rendra libres. Ne pas nous enfermer dans une vérité toute faite et sécurisante, mais être en constante recherche de ce qui vient faire sens dans notre existence, ce qui devient vérité de notre vie. Nous sommes appelés à être libérés constamment.
Quand dans les évangiles nous lisons ces paroles de Jésus qui dit « ta foi t’a sauvé », nous devrions, pour ne pas réduire la foi au moyen d’échapper aux flammes de l’enfer ou de mériter le paradis, dire « ta foi t’a libéré ». Comme pour ces personnes qu’il rencontrait et que, par sa parole, il ouvrait à une nouvelle compréhension de leur rapport au divin et à la religion. « Ta foi t’a libéré » d’un système, d’une prison de certitudes et de croyances. Continuons à annoncer cette foi possible qui libère du dogmatisme religieux pour découvrir notre vérité qui nous rend libre, une libération qui nous rapproche du divin.
1. Ferdinand Buisson & Charles Wagner, Libre-pensée et protestantisme libéral, Van Dieren éditeur, Paris 2022, p.20